Avis d’Obsèques (Nady Nelzy)

A Guillaume SURENA



Le bruit courant se répandit à la vitesse de l’annonce d’un banc de jeunes macrios pris au large de Case Pilote et en dépit du soleil à son zénith qui, incandescent, rayonnait une chaleur infernale sur la petite commune, les gens qui étaient accourus au domicile de la nouvelle veuve pour des renseignements ne purent plus repartir : la détresse et l’ émotion les saisirent, laissant le cœur de chacun plus prisonnier que dans une nasse en pleine mer.

Installés à la petite table de jardin, à l’ombre du vieux goyavier, Gina et Edouard apprirent la nouvelle par le son caverneux des lamentations qui, mêlés au bruit déchirant des sanglots venant du voisinage parvenait jusqu'à eux.

Pris d’une curiosité que son dorénavant état de retraité lui permettait d’entretenir, Edouard en plein écossage des pois tendres récoltés à Grand Fond avant le soleil du matin, lâcha les haricots pour se coiffer de son bakwa , sortir de la maison et assouvir son questionnement. Confortée par la présence de son mari à ses côtés, Gina ne broncha pas

Etait-ce vraiment des pleurs qu’ils entendaient ou bien l’un de ces stupides bruitages, issus du feuilleton insipide que Man Adrienne ne ratait que les jours de délestage de la Centrale de Bellefontaine ? Si tel était le cas, pour sûr, lui, Edouard prendrait le temps de dire deux mots quatre paroles à sa voisine quant à son indiscrétion et la préservation des relations de bon voisinage. Par la même, il ne manquerait pas de lui donner son avis sur ces séries brésiliennes de la télé qui lénifiaient la moindre réflexion des gens d’ici. En passant devant les jalousies de sa fenêtre, Edouard sentit un regard chargé de reproches. Celui à coup sûr d’Hadriana, couturière de son état, qui devenue Man Adrienne avec l’âge, le toisait désormais, lorsque cette dernière le rencontrait, oublieuse du béguin qu’elle avait jadis eu pour lui.


Leur flirt avait commencé peu après leur communion, solennelle , pendant la retraite . Puis l’adolescence finie , il avait été un temps où jeune femme, on l’appelait Hadriana la liane, tant son long corps souple aux formes idéales ondulait sous les chaloupes des rythmes fougueux de la pachanga dans les fêtes paroissiales où elle suivait partout son danseur préféré, son Elu ,Edouard, docteur es Compas-direct, meringués, cha-chas et boléros, …

Leur passion dura longtemps, même après le mariage de ce dernier avec la douce Gina - bien foubin elle-même de tous les jupons cancans qui virevoltaient autour de son mari et sous son nez, à elle




Le changement commença dés lors que Edouard l’Adonis, l’âge venant, avait cherché une conduite pour son corps *1 et la trouvant sur les chemins de la providence qui - impénétrables pour certains - dévoilèrent à ce vieux fêtard repenti, les voies du Seigneur.

Et c’est ainsi qu‘un jour , le roi du boléro et de la salsa, renia la danse pour le prêche au temple évangéliste du quartier Batterie.


Dés qu’il parvint au beau milieu de chemin du Stade qui laissait percevoir la grand-route, les pas du Pasteur se firent plus pressants et le spectacle qu’il découvrit l’inquiéta. Installée dos au cimetière, assise devant un étal de fortune au milieu de ses paniers de poissons blancs et des mouches attirées par les effluves des entrailles extirpées de coulirous, Hélène, le buste renversé sur la table, pleurait à gros sanglots, le soleil dardant sur sa tête et ses épaules.


Edouard demeura silencieux devant sa cousine, âgée déjà d’une petite quarantaine. Ne sachant comment appréhender ce chagrin. Il se mit à la détailler du regard.

Certes, elle n’était pas d’une beauté rayonnante mais elle avait hérité de la lignée des Nazaire, un certain nombre de traits. Adolescente, sa haute taille et son teint de négresse rouge lui donnaient la noblesse d’une amazone des pays Malis, des temps anciens, avec cependant dans les yeux une tristesse incompréhensible. Et quant à la criée elle offrait à la vente la pêche en haute mer des frères Nazaire, son aphasie naturelle et son air lointain ,faisaient penser qu’elle était une véritable aristocrate. Abandonnée d ‘un dénommé Ange, originaire du Vauclin et dont elle s’était éprise, elle devint fille-mère de trois enfants dotés eux-même d’une rare beauté et même si elle était tombée dans l’embarras , sa préoccupation première était d’en faire des fils de prince.

Depuis lors , Hélène se débattait dans une vie où alternaient ascension, chute et redressement, joies, chagrins et maux d’amour. Aujourd’hui, du haut de son un mètre quatre-vingt cinq passé, d’une corpulence aussi virile que celle d’un docker de la Transat, Hélène ne pouvait selon Edouard être consolée comme il le ferait avec ses sœurs de la confrérie de l’église évangéliste. Car telle qu’il la découvrait, parfumée au thon frais et, inondée de la sueur d’un lever à quatre heures du matin, vêtue d’une blouse en madras gris, rapiécée en tout sens, quatre choux rassis de deux jours, coiffant sa tête grainée, le chagrin d’Hélène ne pouvait être que celui d’une trahison amoureuse. Gêné de son impuissance, face au désarroi de la malheureuse, Edouard regarda autour de lui, cherchant avec espoir où trouver de l’aide. Pas une âme n’occupait la route à cette heure chaude du début de l’après-midi. Quant à Hélène, prostrée dans son tourment, elle ne s’était même pas aperçue qu’elle était observée. Elle pleurait, pleurait, pleurait hoquetant tout son saoul.

Désorienté par tant de chagrin, prenant son courage à deux mains, mon oncle, finit par oser

- Eben ma fi, sa ki rivé’w, ou ka pléré konsa ?2 Eh! bien jeune fille qu’est-ce- qui te fait pleurer comme

Levant la tête, mais sans identifier son vis-à –vis, la pleureuse lui offrit un visage raviné par les larmes et de sa voix mâle, murmura dans un sanglot

- Sé Papa ! Yo di mwen papa mwen fini mô !

Même si la parole lui était parvenue inaudible, Edouard reprit avec inquiétude

- Mêt Nazè, mô ?

Puis tel un cavalier désarçonné, ne sachant pas comment recevoir la nouvelle qu’il venait d’apprendre et insensible aux agaceries des mouches gourmandes, Edouard s’assit sur un petit banc, non loin de l’étal à poissons. Chaque mot retentissait dans sa tête comme les cymbales de la lyre d’Orphée, les jours de remise de gerbe aux soldats inconnus.

Hélène d’habitude si timide et si peu démonstrative était toute entière secouée par le chagrin qui semblait avoir percé le bouclier de son apparente indifférence.

L’observant, Edouard chercha en lui des paroles réconfortantes… Celle des Corinthiens retint alors son esprit…


Nous ne nous endormirons pas tous dans la mort, mais nous serons changés en un instant, en un clin d’œil, à la dernière trompette qui sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles car il faut que le corps revête l’immortalité…(1Corinthiens 15 : 51-54)


L’œil éteint, la fille du marin-pêcheur fixait la mer sans la voir et ne sembla ne pas saisir la portée de la parabole que son cousin venait d’énoncer. A vrai dire elle n’attendait rien de qui que ce fut. Seul l’océan, son véritable horizon saurait venir à bout de l’immense vide qui l’habitait désormais. Sans prononcer un mot, elle replongea sa tête dans ses épaules tandis que navré de n’avoir pas été entendu, Pasteur Edouard reprit le chemin du Stade sans demander son reste.


Apercevant mon oncle Edouard, je fis un détour pour ne pas avoir à le croiser. J’étais moi-même très affectée de la nouvelle que j’avais apprise en même temps que lui et je me demandais avec quels mots je pourrais lui dire que Nazaire ,c ’était non seulement mon parrain mais un de mes dieux d’enfance qui venait de disparaître ?


En dépit de la rareté de mes visites, il était souvent présent dans mes pensées et je le garde encore en moi telle une icône, vive, en couleur et en relief. Son image demeure plus fortement gravée dans mon souvenir que celle de mes autres disparus : Peut-être parce que s’y inscrit la force d’un géant, un tempérament. et une bonté légendaire. Sa quête de justice, son mépris pour la gloire et l’argent …et son amour inconsidéré pour la belle parole.résonnaient en moi, en vagues déferlantes. Et curieusement, me revinrent des bribes des souvenirs de mon enfance parisienne….


C’était dans les années cinquante, deux ans s’étaient écoulés au boulevard de Grenelle, notre nouvelle adresse, quand Nelson, mon cadet, reçut à la fin de décembre, à l’occasion des fêtes de Noël, parmi nos modestes cadeaux, un présent de son parrain Roger, qui passait alors son congé en France.

Si pour les adultes Roger Lamotte, était un Casanova, il représentait pour nous autres , les enfants, un personnage quasi mythique

Tout d’abord le fait qu’il vinsse de l’autre bord, installait autour de lui un mystère que je n’étais pas en âge d’analyser mais qui à mes yeux reflétait l’image intacte de la Martinique.

Issu de la petite bourgeoisie foyalaise, Tonton Roger et sa famille vivaient à Paris comme en villégiature à l’instar de biens des fonctionnaires de cette époque. Il était doté d’une belle taille, d’un faciès agréable et ses tenues avaient de l’élégance. Son teint doré par le soleil, sa chevelure à peine bouclée de mulâtre le faisait remarquer par toute la gent féminine parisienne quant à sa légendaire prodigalité, elle séduisait les esprits les plus rétifs. Par coquetterie, il ne prenait jamais le métro, mais le taxi, ne serait-ce que par distinction .Comme il ne rechignait pas pour les gratifications, les chauffeurs l’auraient emmené au bout de Paris.


Quand je devins adulte, je ne m’étonnai plus de la séduction qui émanait de lui et je compris pourquoi les femmes, tenant auprès de ce séducteur impénitent une place privilégiée et l’avaient accompagné d’un bout à l’autre de sa vie.


Ce soir de Noêl, lorsque dans notre modeste logis, Tonton Roger vêtu d’un smoking de soirée, passa spécialement pour remettre des étrennes à son filleul, mon frère ébloui éprouva un bonheur si intense, que par comparaison, les cadeaux que nos parents venaient de nous offrir parurent ternes.


Tandis que les adultes sirotaient sur un coin de table un shrub, que maman avait confectionné, histoire de conserver le goût des noëls de chez nous, nous contemplions le fameux cadeau : c’était une petite voiture de course rouge. Elle nous apparut comme un trésor venu des contes merveilleux que j’aimais à lire. Lorsque Tonton Roger repartit et en dépit des chants d’allégresse que diffusait la radio et des agapes, du plateau de boudin et de pâtés traditionnels que maman avait préparé, l’atmosphère changea pour laisser place à une certaine mélancolie. Nelson, avait accaparé sa voiture pour jouer seul et Emmanuelle , ma sœur aînée, silencieuse mettait de l’ordre dans sa dînette.

Quant à moi, perdue dans mes pensées, je rêvais, m’imaginant qu’un parrain tout aussi prestigieux que tonton Roger viendrait me chercher et m’offrirait une belle robe, avant de m’emmener sur le bateau du retour vers la Martinique, à Case Pilote, vers ma tante Rose et ma grand-mère Lala.


Comme je me rendais chaque jeudi au catéchisme, à l’église Saint Léon, je savais que j’avais moi aussi un parrain, mais du haut de mes sept ans, j’étais obligé de reconnaître que, je n’en avais pas le moindre souvenir. Je m’apprêtais à me renseigner auprès de maman quand je m’aperçus qu’elle était déjà partie pour son travail, à l’Hôpital Broussais. Nous étions donc seuls avec papa. Ma déception me fit dévorer goulûment et sans faim, deux pâtés et un morceau de boudin. Le regard inquisiteur de mon père, qui m’épiait depuis un instant, se plongea dans le mien. Je me décidais alors à lui poser la question qui me taraudait depuis un instant :

- Et moi, qui est mon parrain ?


Il me regarda, eut un petit sourire, mais resta tout d’abord silencieux. Interrompant la lecture de son journal, il prit place à mes côtés, comme pour affirmer qu’il souhaitait m’accorder une attention particulière. J’étais une enfant, mais je ressentais souvent le désarroi de certains adultes. Celui de mon père m’était accessible, c’était celui d’un jeune homme de vingt sept ans, aimant le jazz et l’atmosphère des boites de nuit, qui avait fait le choix de rester enfermé chaque soir avec quatre gamins (les siens) dans ce petit logis du quinzième arrondissement, il était évident que la nuit de Noël de cette année là, ne pouvait rien lui offrir de très réjouissant. Pourtant en l’absence des plaisirs qu’il s’interdisait et affirmant volontiers son statut d’émigré, il s’occupait de nous,comme le ferait un grand frère avec toutefois une responsabilité toute paternelle


Retenant ma main gourmande qui rodait vers l’assiette de gâteaux, il la garda et me répondit avec une grande solennité

- Nazaire ! C’est un maître senneur ! C’est lui ton parrain. il continua comme pour lui même … Sé an mal boug *3

La voix de mon père quand il évoqua la personnalité de mon parrain était empreinte d’une admiration certaine. Je sus alors que Nazaire était un valeureux marin pêcheur, que son canot portait le nom de « Courage d’abord » et que pour lui la mer avait peu de mystères.

De nature secrète je me gardais bien de questionner d’avantage mon jeune père, car je sentais bien que cette évocation le rendait plus triste qu’il n’aurait voulu le dire. Devenue adulte aujourd’hui, je pus analyser mes impressions  : Lui, qui amoureux éperdu de sa terre natale, avait comme tant d’autres jeunes gens de son époque abdiqué devant les difficultés locales, Persuadés que, sur ce bout de terre cerné d’océans, retenaient en son sein les stigmates de l’esclavage ancien et l’exploitation moderne de la colonisation, interdiraient à la plus part d’entre eux , d’atteindre leur stature d’homme. Ils avaient quitté non sans une volupté certaine les Antilles pour l’Europe.

Sans rien dire à quiconque, je me mis désormais à l’affût de toutes les informations qui parvenaient de Case Pilote et qui m’apporteraient des points de reconnaissance m’aidant à identifier mon parrain. Mais il faut avouer qu’à ce moment précis, nos préoccupations parisiennes consistaient surtout à exister et à survivre dans ce grand pays qu’est la France. Ma propension naturelle au rêve m’apporta plus qu’aurait pu le faire la réalité et dans mes moments de grande solitude, le parrain, de mes rêves marchait sur l’onde, porteur, non seulement de poissons colorés mais aussi les plus belles étrennes qu’une petite fille puisse rêver.

Quelques années plus tard, adolescente et interne dans une pension de jeunes filles, à Cahors, dans le Lot, je sentis s’éloigner la carence affective provoquée par le « mal du pays », ma famille, friande de tous les évènements de la Martinique, me faisait partager les joies et les tristesses de notre trop lointaine région


Un jour, rentrant à la maison pour de courtes vacances, j’appris une nouvelle qui me ravit le cœur : mon père nous conta que, lors d’une pêche quasi miraculeuse, mon parrain Nazaire, avait pêché un banc de poissons pélagiques qui avait rempli plusieurs canots et que les subsides obtenus par la vente avaient entre autre permis aux Nazaire d’acquérir le premier poste de télévision de la commune de Case Pilote.

J’en appris une autre qui emplit mon cœur de fierté : Guillaume  ; mon cousin, à dix sept ans, avait obtenu son baccalauréat avec la mention très bien.

Devenue adulte, j’épousais à Paris, Stéphane Louis, natif de la région du Morvan. Je lui avais présenté à ma façon l’île où j’étais née, éveillant à la fois son intérêt et sa curiosité. L’homme que j’avais choisi, voulut connaître une de ces anciennes colonies de la France, son pays. Je lui avais dit « île » car à ce stade de mon existence, l’image que j’en avais était confortée par le souvenir d’un jardin créole, plus édénique que celui de la Genèse. Il s’ouvrait sur un petit village de pécheurs adossé à des mornes verdoyants et dont l’unique horizon était la mer Caraïbe.


Dans mon rêve , le jardin de ma grand-mère constituait un espace clos doté de deux allées en croix, d’une pergola cernée de rosiers à larges corolles et de jasmin à l’arôme entêtant. L’indispensable bassin servait à tout faire. Je le considérais principalement comme ma piscine et je m’y plongeais après mon bain de mer quotidien. Il était situé non loin d’un flamboyant que les écoliers surnommaient : l’Arbre de la liberté car, dès que pointait le mois de juin annonceuse de grandes vacances, l’arbre rougissait les chemins et les places de ces fleurettes pourpres. Chaque végétal : manguiers aux fruits plus dorés que le soleil, avocatiers aux feuilles vernissées, frêles papayers, goyaviers et même ordinaires jujubiers me transmettaient l’assurance que bien qu’appartenant à l’évidence à une diaspora, nous possédions, contrairement à d’autres, un point d’ancrage et que celui-ci devait être défendu, même mains et poings liés.

Et c‘est bien plus tard, avec ma commère Ina que je compris la portée de l’écrit du poète :

«  Là où l’aventure garde les yeux clairs, là où les femmes rayonnent de langage, là où l’arc-en-ciel de ma parole est chargé d’unir demain à l’espoir et l’infant à la reine. *4  »


Ce lieu mythique dont les sentinelles tutélaires furent ma tante Rose et ma grand-mère Lala, devint le bouclier de mon cœur durant tout ce temps vécu hors de la Martinique. Car à cette époque, enfant nègre, vivant à Paris depuis ma plus tendre enfance, je présumais à travers les aléas de nos vies actuelles, l’existence de souffrances passées que les adultes s’ingéniaient à nous dissimuler.



Lorsque j’arrivais à la Martinique quelques vingt années plus tard , bien que père d’une rafale d’enfants et en dépit de ses modestes moyens, mon Parrain se fit un devoir de nous recevoir dans sa maison du bord de mer. Je m’aperçu alors, que mes rêves ne m’avaient pas menti : Nazaire était un être hors du commun. C’était la générosité même. Il adorait faire plaisir et s’amusait sincèrement à voir les gens heureux autour de lui. Il avait toujours une attention pour ses proches, partageant en toute simplicité les produits de sa pèche avec les plus humbles en gage d’amitié et de fraternité.


Devenus pêcheurs eux-mêmes, quelques-uns uns de ses fils avec qui il travaillait, rentrant d’une bordée et rageaient parfois de sa prodigalité en songeant aux efforts exigés par une pèche à hauteur de miquelon*5 . Le regardant distribuer sans compter des « lots » gratuits aux plus nécessiteux, ils aimaient à dire d’un air fataliste, en haussant leurs larges épaules:

- Ki manniè nou ké fè pou nou ni an bagay , Lè Suréna sennen, sé la kominn ki sennen ! *67


Mais mon parrain ne pouvait s’empêcher de compatir aux souffrances d’autrui. Tout en lui laissait transparaître l’énergie intérieure qui l’habitait : Il était habité par un tel dynamisme que je m’étais habituée à le croire immortel. Nazaire Suréna employa toute sa vie cette force aussi bien morale que physique, avec un instinct de lutteur afin de venir à bout des embûches semées sur sa route. Son imagination était constamment en éveil et son esprit bouillonnait de multiples projets.


Conscient de la réalité antillaise : aliénation culturelle des élites et préjugés de couleur à tous les niveaux de l’échelle sociale. C’était un Césairiste de la première heure. Eprouvant une profonde admiration pour celui qui devint quelques années plus tard le chantre de la Négritude et il fut pendant longtemps combattant à ses côtés.











Aussi, quant me souvenant de mon parrain disparu, l’image de mon père vient submerger mon esprit, je songe à la silencieuse douleur de ce jeune homme si distingué, nourri de Schoelcherisme qu’il fut avant le nécessaire reniement qui finit par le rendre farouche et désenchanté, et me viennent à l’esprit les amers sarcasmes du poète-mililant :

« Et il y a le maquereau nègre, l’askari nègre, et tous les zèbres se secouent à leur manière pour faire tomber leurs zébrures en une rosée de lait frais. Et au milieu de tout cela je dis hurrah ! Mon père meurt, je dis hurrah ! la vieille négritude progressivement se cadavérise … * 8


Nady Nelzy

15 septembre 2004


Glossaire


1 En français, on dirait changer de vie

2 Eh bien jeune fille qu’est-ce- qui te fait pleurer comme

3 un sacré bonhomme !

4 Césaire les armes miraculeuses

5 miquelon = haute mer pour les pécheurs

6 je ne sans pas le traduire mais je dirai

7 Lorsque Surena senne , c’est pour toute la commune

8 Césaire : Cahiers de retour au pays natal




Je remercie Madame Nady NELZY qui, par amour pour son parrain,
m'a permis la publication de cet écrit !




- fermer -