NOUS SOMMES PHILOSÉMITES !...

 

 

Nous ne décorerons pas monsieur DIEUDONNÉ de la légion du déshonneur en le traitant de nazi. Non ! Monsieur DIEUDONNÉ n’est pas un antisémite. Il le dit et le redit, il n’y a pas de raison de ne pas le croire. Mais ses propos sur les commémorations de la Shoah sont inacceptables. Parler de « pornographie mémorielle» est une catastrophe. Et ce, même dans le cas où ces propos auraient été tenu par une israélienne, c’est une injure de le reprendre à son compte et un exemple accablant du suivisme de certains de nos frères et doit être rangé, à son tour, dans la rubrique « pornographie de la bêtise ».

Oui ! On ne commémorera jamais assez ce crime horrible qu’est l’extermination des juifs commise avec la complicité d’une partie de la bourgeoisie qui oublie sélectivement avoir préféré les « Nazis » aux « Rouges »…

Ce crime ne concerne pas uniquement les juifs, mais bien toute l’humanité. Que des hommes aient pu surgir d’un pays capitaliste avancé [dont la langue, l’Allemande, a été le véhicule des réflexions philosophiques, littéraires et scientifiques les plus universelles et les plus audacieuses] avec l’abominable projet d’exterminer systématiquement une nation bien ciblée femmes, hommes et enfants, vivants et morts (au point de déterrer les corps et de raser les cimetières) ne doit pas être considéré comme une possibilité humaine non répétable.

Oui, nous les nègres ne sommes en rien responsables des crimes contre les juifs ! C’est donc librement que nous choisissons de partager la souffrance de ce peuple qui a tant apporté à l’humanité toute entière et qui offre dans son histoire tant d’exemples de résistance de la pensée. Si « je suis un autre », c’est sur l’injonction du plus célèbre disciple vivant de Arthur RIMBAUD, Aimé CÉSAIRE que nous fondons notre choix :

« Comme il y a des hommes-hyénes et des hommes-

panthères, je serais un homme-juif

(…)

un homme-pogrom » (in, Cahier d’un retour au pays natal).

C’est dire que nous refusons d’identifier le peuple juif à l’Etat d’Israël dont les crimes et les

excès (comme tous les États) sont indignes des exigences contraignantes de la morale du peuple de Moïse l’Égyptien.

Monsieur DIEUDONNÉ a été agressé par quatre personnes blanches, d’origine juives, proférant les termes de « sale négro ». La Martinique a réagi, comme elle l’a toujours fait en donnant sa sympathie à la victime, surtout à cause de l’injure raciste. Mais le fond du problème posé par le cas de monsieur DIEUDONNÉ n’a pas été discuté.

Monsieur DIEUDONNÉ, selon nous, a tort sur l’essentiel :

1) NON la traite et l’esclavage ne sont pas l’équivalent de la Shoah ! Le génocide juif a été un projet conscient, l’esclavage des Noirs aussi, mais le but de ce dernier n’a pas été l’extermination systématique malgré ses millions de morts.

L’esclavage a été un crime absolu et comme l’a dit si bien Victor SCHOELCHER :

«  Le peuple qui n’arrête pas la main criminelle est complice ». Les nations européennes qui se battaient pour la conquête du monde sont responsables. Le fait que les marchands africains se sont enrichis en vendant des esclaves noirs n’absoudra pas l’Occident capitaliste ni les esclavagistes arabes. Mais ce constat ne saurait nous sauver. La tâche des intellectuels antillais n’est pas de continuer à répéter les connaissances insuffisantes des années 50. Nous avons le devoir de regarder l’ensemble du problème à partir de la connaissance empirique des documents et du côté européen, et du côté africain, et du côté arabe, et du coté indien ou asiatique. Si cette question est importante, c’est bien à cause de nos difficultés présentes et non pour se mirer dans le passé.

 

2) Les juifs ne nous empêchent pas de commémorer nos malheurs, ni nos résistances et encore moins nos victoires. Eux qui furent chassés de nos îles ainsi que l’a dit, statué et ordonné Louis, roi de France et de Navarre, dès 1635, dans le Code noir (art. 1) : « … ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence (…) nous commandons d’en sortir dans trois mois (…) à peine de confiscation de corps et de biens. »

Souvenons nous de nos luttes pour la reconnaissance de l’abolition du 22 mai 1848 : les forces qui s’opposaient à nous n’étaient ni juives, ni européennes mais martiniquaises « natives - natales », qui ne voulaient rien mais rien à voir avec l’Afrique, sa « sauvagerie », sa « nègrerie ». Aujourd’hui, certains courants intellectuels dominants grâce à leur reconnaissance par les maisons d’éditions occidentales, nous répètent à longueur de pages qu’il faut en finir avec les histoires de nègres ou d’africains et nous intiment l’ordre de minimiser la responsabilité des blancs créoles, au nom de l’idéologie racialiste du métissage..

3) La solidarité nationale des juifs ne fait pas d’eux un bloc. La lutte des classes a toujours existé à l’intérieur de la nation juive (à ne pas réduire à l’État d’Israël) et ça continue.

Les rivalités presque tribales entre juifs d’Europe de l’Est et juifs d’Afrique du Nord ou d’Orient persistent encore, sans oublier les conflits entre juifs athées (ou libre penseurs) et juifs religieux. Il ne faudrait pas oublier les oppositions tranchées entre juifs assimilationnistes et juifs intégristes partisans du repli communautaire (Tiens, voilà une opposition qui nous ressemble !...).

Notre tâche d’intellectuels antillais est de rompre avec cet assimilationnisme tenace qui nous pousse à reprendre sans examen critique les approximations les plus éculées qui circulent en Europe sur les juifs.

Pour notre part, nous ne saurions oublier que si la nation juive a sûrement fourni quelques colonialistes efficaces, elle a offert :

·         à la lutte anti-colonialiste les meilleurs de ses filles et fils,

·         au mouvement révolutionnaire anti-capitaliste et internationaliste ses penseurs les plus brillants,

·         à la recherche scientifique, ses novateurs les plus intrépides.

 

4) Le conflit israélo-palestinien ne saurait justifier une quelconque hostilité anti-juive. Israël est un État comme tous les autres États : il s’est constitué par la violence et même par les procédés terroristes et il se maintient par la force et le rapport de forces. En ce sens on peut dire que cet état est légitime. D’ailleurs l’OLP de ARAFAT ne s’est pas trompé en reconnaissant l’ État d’ISRAËL.

Comme tout État, ISRAËL possède un système de représentations idéologiques fondé psychologiquement sur les clivages et les dénégations. Tous les discours sur  « l’exception morale » juive n’est qu’une auto mystification, bien commun à tous les états nationaux.

Ceci dit, je ne vois pas en quoi, nous pourrions être plus extrémistes que l’OLP, nous qui avons si peur de devenir indépendants, y compris dans certains milieux indépendantistes. Il est vrai que Monsieur DIEUDONNÉ est un français de France et n’est pas confronté aux affres de la sécession. Son succès en France prouve qu’il n’a pas trop de difficultés d’intégration.

 

5) Que l’État Français reconnaisse sa responsabilité dans le génocide juif est un immense progrès. C’est aussi la preuve que les juifs de France se sentent Français à part entière. L’assimilation des juifs fut plus conséquente en France que partout ailleurs en Europe.

Monsieur DIEUDONNÉ qui se veut français voudrait que l’État français fasse plus sur les crimes de la colonisation… il est peut-être conséquent. Mais tous ses soutiens martiniquais anticolonialistes qui ne veulent ni rester, ni sortir du cadre français et européen, le sont-ils vraiment ?

Probablement que l’État français ne fait pas suffisamment pour expliquer aux français les crimes commis en leur nom, contre les peuples noirs…

Pour notre part, nous n’avons aucune envie d’exiger quoi que ce soit de la France. Loin du nœud coulant de l’assimilationnisme, il nous appartient de mener combat par nous-mêmes et pour tout dire, « Nous devons nous réparer nous mêmes » (A. Césaire). Mais cela suppose des choix et donc tous les sacrifices liés à ce genre d’engagement. C’est à nous d’exiger aussi des États africains qu’ils financent un film ou des films sur la traite atlantique et l’esclavage. Encore un effort camarades !

Qu’il y ait des lobbies juifs, des lobbies arabes, russes, étasuniens ou des lobbies contestables de toute sorte, est une évidence. Leur but est de peser sur la politique, l’économie, la vie culturelle dans l’intérêt de leur communauté. Il n’y a pas de lobby antillais, certains peuvent le regretter, nous pas et pour tout dire, nous nous en félicitons. Nous n’aimons pas les communautarismes ; notre identité est évidente. Les choix communautaristes ont conduit partout, durant le XXème siècle aux massacres ; Et comme nous ne croyons pas dans l’avenir radieux du capitalisme, le communautarisme conduira aux mêmes résultats. Le principe de la citoyenneté  politique basé sur l’égalité des individus nous paraît supérieur, vieux principe de 1789 et de 1804, date de la première République noire, Haïti.

En conclusion, toutes les sociétés ont eu et ont encore peur de la représentation qu’elle soit picturale, sculpturale, musicale, littéraire et surtout théâtrale (danse comprise).On a toujours brandi l’interdiction de reproduire la création (c'est-à-dire la scène sexuelle primitive) et de doubler le créateur (c'est-à-dire le meurtre du père). Le spectacle, séparé du rituel religieux ou politique, a été souvent vécu comme une atteinte aux bonnes mœurs. Naguère, l’Église catholique excommuniait les comédiens.

Nous n’avons jamais aimé le comique de Monsieur DIEUDONNÉ, y compris et surtout, quand il était en duo avec Monsieur Élie SEMMOUN, de confession juive. Leurs histoires nous ont toujours semblé forcé et surtout « limite ». L’engrenage dans lequel Monsieur DIEUDONNÉ s’est laissé happer était à nos yeux inévitable.

Que Monsieur DIEUDONNÉ ait le droit de se moquer de tout et de tout le monde est une liberté qu’il faut défendre. Ceci fait partie de la liberté d’expression. Mais la liberté de critiquer suppose la liberté de critiquer les critiqueurs. Que personne ne s’en étonne !

 

 

 

Le mardi 08 mars 2005,

 

 

Guillaume SURÉNA Lucien CLÉMENTÉ

CASE PILOTE SCHOELCHER

MARTINIQUE MARTINIQUE