LE TEMPS DES
AMERIGO
OU
LES CARTOGRAPHES DU
NOUVEL
INCONSCIENT*
Il n’est pas toujours bon de se perdre
dans la contemplation gnoséologique
au creux le plus fructueux des arbres généalogiques,
(le risque étant de s’apercevoir que l’on s’est égaré au plus mauvais carrefour de l’évolution) « CESAIRE »
Madame
Rosine JAMPOLSKY-CLAUSER
(1924-2005)
Disciple de Sigmund FREUD et d’Arthur SCHNITZLER
GUILLAUME SURENA
PSYCHANALYSTE
Le temps des amérigo arrive
toujours pour rassurer les hommes apeurés devant les conséquences imprévisibles
de leurs propres actions. Ce brave et modeste Amérigo VESPUCCI, contemporain de
Christophe COLOMB, n’était ni le
premier à aborder le nouveau monde, ni un des grands explorateurs, ni un érudit,
ni un manipulateur et pourtant le destin a fait de son prénom, en latin
« AMERICUS », le nom d’un
continent
nouveau.
Lorsque Lionel NACCACHE donne comme sous titre, à son livre le « Nouvel Inconscient », celui
de « FREUD, Christophe COLOMB
des neurosciences », il n’agit pas avec la maladresse et la naïveté des
cartographes de SAINT-Dié
dont l’erreur nominative fait de nous qui vivons de coté-ci de la mer Océane, des
américains. Son message est calculé. Son ambition est immense : réduire Sigmund
FREUD au rôle de précurseur, ce dernier s’étant lui même comparé à un
aventurier, à un conquistador, à COLOMB plus qu’à un véritable homme de science. Lionel
NACCACHE, lui est un authentique homme de science. Il est médecin, spécialiste
en neurologie chercheur au sein de l’unité INSERM Neuro-Image Cognitive. Il fréquente les
laboratoires et bénéficie de la révolution des techniques liées à l’informatique
qui font leur apparition dans la recherche médicale, dès les années 1970 ; Il
voit… il voit directement ce qui se passe dans le cerveau humain, même si, en
homme cultivé, il ne semble pas ignorer les pièges de la perception
directe.
Son livre nous intéresse et aucun psychanalyste ne peut faire l’impasse sur les critiques pleines d’admiration qu’il adresse à la pensée freudienne. Son ouvrage est une reconnaissance de l’importance de la psychanalyse et avoue que toute avancée dans le domaine de l’esprit et plus précisément de la cognition ne peut faire l’économie de ce que plusieurs décennies et quelques années de psychanalyse ont élaboré.
Freud ne nous avait-il pas prévenu qu’un jour, peut-être, les découvertes de la
biologie réduiront à néant les élaborations théoriques fragiles de notre
nouvelle science qu’il avait créé en se séparant résolument de la
neurologie ? N’avait-il pas affirmé,
avec le ton de celui qui sait ce dont il parle, que les possibilités de
cette biologie sont immenses ? N’avait-il pas montré de l’insatisfaction devant
les versions écrites de certaines de ses propres conceptualisations, notamment
ses écrits métapsychologiques de 1914 ? Ne nous avait-il pas averti des risques
qu’il y avait à se lancer dans des extrapolations aventureuses en ne travaillant
qu’avec une partie des concepts qu’il avait difficilement créés ? Depuis beaucoup de dissertations
psychanalytiques ont pris ce genre de risques au point que Freud apparaît pour
ceux qui se réclament de la psychanalyse contemporaine, avec une
connotation « art
contemporain », comme un archaïque, un dépassé dont on ferait bien de
ne consulter qu’en tant que… « référence du passé »
(sic).
Sommes-nous arrivés à la fin d’une tentative vaine de fonder la nouvelle
science ? Sommes-nous condamnés à réduire la psychanalyse à n’être qu’une
technique thérapeutique, en faisant FREUD retourner au bercail originel ou maternel de la neurologie ?
Lionel NACCACHE en homme de science moderne ne travaille
pas seul. Il est entouré d’autres chercheurs et il est appuyé par des maîtres de
sa discipline, le plus médiatique d’entre eux étant Jean-Pierre CHANGEUX. Son
regard sur FREUD est plutôt affectueux, c’est celui d’un fils qui désire savoir,
dans une posture typiquement
oedipienne, ce que son père, neurologue comme lui, avait dans le ventre ou dans
la tête quand il choisit de tourner le dos à la neurologie. Il jubile et on le
comprend, à l’idée d’avoir résolu une énigme majeure du XXème siècle en faisant
tomber de son haut la statue du conquistador FREUD ; mais il garde suffisamment
d’inquiétude au fond de lui pour se rendre compte que son discours peut reposer sur une nouvelle illusion.
C’est d’ailleurs ce qui le rend sympathique. A mon tour je jubile à le voir se
rapprocher si près de la psychanalyse freudienne et rater l’essentiel… Je ne
désespère pas, s’il n’est pas trop tard, de le voir rallier notre « horde
sauvage ».
Dans ce travail critique nous essaierons de présenter avec objectivité
les thèses de Lionel NACCACHE, sans nous départir de notre parti pris freudien
fondamental. Nous verrons :
- la révolution à
l’intérieur des neurosciences,
- les concepts d’Inconscient et de Conscience dans les
neurosciences
- et
l’avance prise, selon nous, par Sigmund FREUD, aussi
bien
sur la neurologie de son temps que
sur les
neurosciences
actuelles
I) UNE REVOLUTION DANS LES
NEUROSCIENCES
L’année
1890 a représenté une rupture fondamentale dans l’histoire de la
neurologie. Santiago RAMON Y CAJAL
vient de découvrir l’élément le plus important du cerveau : le neurone
individuel. Si le mérite historique
lui revient, c’est toute une génération de neurologues européens qui s’étaient
lancés dans cette même recherche. Parmi eux on rencontre le jeune Sigmund
FREUD.
En 1897 une
deuxième découverte par le docteur Charles Scott SHERRINGTON complètera cette
première avancée : le synapse.
Et quand on a consulté les archives
FREUD on a découvert qu’il avait élaboré cette réalité en 1895 sous le nom
de « barrière de
contact » qui est le sens d’ailleurs du mot grec « synapse ». Tout cela
pour dire à quel point la vie de FREUD fut imbriqué dans celle de la neurologie. Il avait
écrit un texte sur l’aphasie en 1891 qui reposait sur les idées John Hughlings JACKSON connu pour son
opposition aux théories sur la localisation cérébrale des troubles de la parole
des personnes cérébro-lésées. L’histoire a résolu la question en sa défaveur
pour adopter les perspectives de Paul BROCA et Carl WERNICKE qui sont encore
d’actualité.
Mais John Hughlings JACKSON aura laissé son empreinte essentielle sur la
discipline neurologique : la vie mentale consciente repose, selon lui, sur
l’activité du néocortex cérébral alors que la motricité réflexe inconsciente et
les autres processus nerveux inconscients
reposent sur l’activité des parties inférieures du cerveau, des parties
plus archaïque du point de vue phylogénétique.
Pendant un siècle cette conception,
dont le paradigme est l’arc réflexe, dominera la neurologie des processus
mentaux conscients et inconscients.
L’auteur de ce livre, remarquable par sa façon de présenter les
problématiques et les enjeux posés par la recherche en sciences cognitives, annonce qu’une révolution s’est achevée
en 2005. Elle avait commencé dès le début des années 1970. Tout cela fut la
conséquence d’ « un changement de paradigme en
neurosciences, c’est-à-dire d’une véritable transformation du regard porté sur l’antique question des
rapports entre le cerveau et la pensée » (p. 62-63). A l’origine de ce bouleversement, situé
géographiquement dans certains campus nord américains, « les réflexions de brillants
mathématiciens, cybernéticiens, linguistes, psychologues tel John von NEUMAN, Alan TURING, Norbert WEINER ,
Marvin MINSK, Noam CHOMSKY ou George MILLER » (p. 63) qui affirment que « les processus mentaux peuvent être
décrits comme des processus de traitement de l’information, au sens mathématique
et statistique du terme » (p. 63). Voilà une théorie qui diffère
sensiblement des théories de la thermodynamique qui inspirèrent les élaborations
énergétiques de la psychanalyse freudienne. La nouvelle conception repose avant
tout sur l’idée de représentation.
Avant d’aller plus loin, essayons de suivre notre cartographe dans
l’exposition de l’histoire de sa révolution à l’intérieur des sciences
cognitives puisqu’il y a pris une part significative.
Tout aurait commencé en 1972, dans un laboratoire de la Côte Est des
Etats Unis d’Amérique à partir d’une expérience de blind-sight ou vision
aveugle, c’est-à-dire que le patient présente un « scotome hémi-anopsique d’origine
corticale » et ne peut rien voir dans la partie droite de son champ
visuel consécutivement à une lésion du cortex occipital de l’hémisphère gauche,
tout à l’arrière de sa tête. En 1973 trois chercheurs du Massachusetts Institute
of Technology (MIT) POPPEL, HELD et FROST, allant au delà des impressions
subjectives de ce genre de patients, découvrirent que ceux-ci, invités à diriger
leur regard vers une source lumineuse qu’ils ne voyaient pas consciemment, se
dirigeaient avec une grande précision vers ce point lumineux. La conviction
s’installa, dès lors, dans la communauté scientifique que « des processus perceptifs et moteurs
oeuvrent et agissent à l’insu de la conscience ». De telles expériences
de dissociation entre la performance et la conscience « constituent des preuves de l’existence de processus
cognitifs inconscients. Elles jouent en neurosciences de la cognition un
véritable rôle de fondation sur lesquelles repose l’édifice de la vie mentale
inconsciente » (p. 19).
Dès lors se posent des
questions sur les mécanismes cérébraux de ces processus inconscients, ainsi
qu’une meilleure délimitation entre vie mentale consciente et vie mentale
inconsciente de patients cérébro-lésés. On comprend les espérances que tous ces
prémices ont soulevées chez les chercheurs et au delà. Toute une série
d’expériences les plus diverses, dans les perceptions subliminales, ont renforcé
la nouvelle orientation prise par les neurosciences.
Les recherches en neuro-anatomie qui
« n’est pas science achevée et poussiéreuse qui n’aurait rien à
nous apprendre » (p. 28), nous apprennent qu’en plus de la plus
célèbre des voies visuelles qui va de la rétine au cortex occipital, « il en existe d’autres confidentielles
et minoritaires souvent méconnues d’un grand nombre de médecins voire de
neurologues » (p. 27-28), notamment « la voie dite colliculaire qui
emprunte précisément un petit noyau situé à la face postérieure des pédoncules
supérieurs qui correspondent à la partie haute du tronc cérébral » (p.
28).
Toutes ces
bouleversantes activités de recherche ont permis de découvrir que l’expérience
visuelle inconsciente, nous la partageons avec les patients blind-sight ou
vision aveugle. Mais cette conception est encore prisonnière de la vision du
grand John Hughlings JACKSON.
Notre cartographe qui est aussi historien a hâte de nous conduire vers
les vrais débuts de la révolution neurocognitiviste. Ayant fait ses premiers pas dans les
habits méthodologiques en vogue à la fin du XIXème siècle, il était temps que la neurologie s’émancipât vraiment. « Une façon de remettre en cause le modèle
jacksonien de l’inconscient consisterait à faire la démonstration que
d’authentiques phénomènes mentaux inconscients trouvent leur origine non dans
les étages inférieurs du système nerveux, mais dans l’activité des régions
corticales les plus complexes de notre cerveau » (p. 66). C’est ce qui
se fera. Toujours à partir de l’expérience d’un patient cérébro-lésé, les
chercheurs GOODALE et MILNER ont démontré l’existence, dans l’information
visuelle qui va de la rétine au cortex, de deux
voies :
-la voie visuelle ventrale sur
laquelle reposeraient les
processus conscients.
- la
voie visuelle dorsale sur laquelle reposeraient les
processus
inconscients.
« C’est essentiellement la voie visuelle
ventrale qui va me permettre la réalisation de la description ... de cet objet
et de l’identifier comme étant une banane » (p. 74), alors qu’elle
n’est pas pour grand chose quand on saisit une balle qui fonce sur nous. Là,
c’est la voie dorsale qui informe le système moteur à notre insu. Sauf que nous
sommes toujours dans une dichotomie : « certains secteurs anatomiques du système
visuel alimenteraient notre contenu conscient, tandis que d’autres
représenteraient l’information visuelle inconsciemment » (p.
83)
Notre historien cartographe décide de nous conduire encore plus loin : la
remise en cause de la légitimité de notre conception « topique » des
comportements conscients et inconscients de notre psychisme. Après nous avoir
fait progresser avec sa théorie de la voie ventrale comme siège de la
conscience, l’auteur nous entraîne avec un enthousiasme contagieux, dans
l’esprit de contradiction : « existe
t-il des situations dans lesquelles une voie visuelle ventrale continue à
élaborer de riches
représentations visuelles
sans que le sujet en
ait conscience »
(p. 83).
La réponse est affirmative :
l’expérience clinique de l’hémi-négligence apporte, selon l’auteur, la preuve.
C’est une maladie consécutive à un accident vasculaire cérébral qui touche
l’hémisphère droit, au niveau d’une région du lobe pariétal : le patient sera
négligent de la moitié de son environnement ; c’est « par excellence, une maladie de la conscience
qui se caractérise par la perte de la conscience de l’existence du coté gauche »
(p. 86). Des expériences avec ces
patients ont permis de rendre compte du fait que la « voie visuelle mentale anatomiquement saine
continuait effectivement à représenter inconsciemment la partie gauche de
l’univers de ces patients » (p. 88). Les psychologues anglais John
MARSHALL et Peter HALLIGAN on fait ces expériences en 1998 et les ont répétées.
Des études réalisées en IRM fonctionnelle en l’an 2000 ont confirmé la prise en
charge de ce qui est inconscient pour la voie visuelle ventrale. C’en était, dès
lors, fini de la distinction anatomique de la conscience et de
l’inconscient. « Il n’existe
pas de lieu propre à la conscience.
La conscience n’a pas de lieu propre : elle est au sens étymologique
u-topique ou a-topique » (p. 93) et donc « il semble bien que n’importe quelle portion de nos
voies visuelles cérébrales
puisse héberger des représentations mentales
inconscientes » (p. 94).
Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler que cette géniale
découverte de notre cartographe du cerveau a été faite de façon certaine par
Freud entre 1895-1900. Nous verrons plus loin, que pour les mêmes raisons
indiquées ici, sa topique de la vie psychique en Inconscient-
Préconscient-Conscient, ne représente pas
non plus des lieux réels de la structure cérébrale. Notre cartographe est
d’ailleurs conscient du génie qu’il a fallu à Freud pour en arriver là. A mon
tour, je ne peux que saluer l’effort opéré par les neurosciences pour se hisser
au niveau atteint par FREUD, avec un siècle de retard, il est vrai, à partir
d’autres types de patients. Sauf que nous n’en sommes pas quittes !
Notre cartographe réduit les avancées de FREUD à être des « intuitions » par opposition
aux « méthodes contemporaines
véritablement
scientifiques ». Lionel NACCACHE confond technologie et science.
Face à l’impossibilité de saisir l’essence des choses, KANT nous a indiqué que
la science repose sur la construction de concepts. L’épistémologie
contemporaine, y compris celle qui fait office de résistance à la psychanalyse,
ne remet pas en cause les principes de KANT. Les physiciens ne perçoivent pas
les particules élémentaires, ni les trous noirs dans l’univers. Les biologistes
ne voient pas les virus ou rétro virus, ils savent leur existence à partir de
l’analyse des anti- corps. Mais tout cela LIONEL NACCACHE le
sait…
Continuons la connaissance de cette passionnante recherche…
Le risque de confondre la carte et le
territoire existait déjà à l’époque de Christophe Colomb, il existe encore plus
aujourd’hui, à cause de l’illusion de vérité absolue que donne les images des
machines informatiques modernes. Le cartographe Lionel NACCACHE n’échappe pas à la
règle.
Toute définition de l’Inconscient suppose la saisie de ce qui constitue
son contraire, la Conscience. Nous
avons déjà vu que, dans ce travail de recherche remarquable, la dichotomie
cérébrale et neuronale de ce qui est conscient et de ce qui est inconscient
n’est pas de mise. Les relations interactives entre les deux catégories de la
vie mentale sont permanentes.
Cette construction de l’inconscient cognitif repose, comme le souligne
l’auteur, sur les développements de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, la psychologie
cognitive dont le paradigme nouveau s’appuie sur la théorie de l’information du
point de vue mathématique et statistique, et la neuropsychologie clinique.
L’essentiel des patients de cette clinique sont cérébro-lésés et notre
cartographe généralise sa découverte, parallèlement, aux personnes saines.
Le but de L. NACCACHE et de son équipe est de reconstituer le projet de
phrénologie de Franz GALL, en supprimant quelques bosses, et autres aspérités :
« lire le contenu de l’esprit en
observant le cerveau penser » (p. 10).
Il ne s’agit point de
construire une théorie de l’inconscient en parallèle avec celle de la
psychanalyse. Il s’agit pour NACCACHE et son équipe de se confronter à FREUD
lui-même car « élaborer un discours
contemporain sur l’inconscient et faire l’économie d’une discussion de la pensée
freudienne relèverait, je crois, du mépris ou de l’ignorance, bref d’une
barbarie intellectuelle » (p. 13). L’intention est claire : remplacer la
conception freudienne, au mieux faire d’elle un département d’une pensée plus
globale. C’est donc « répondre à la
question brûlante qui occupe nécessairement le centre de toute réflexion
occidentale contemporaine sur l’inconscient : FREUD avait-il raison ? » (p.
212). Espérons que les psychanalystes ne succomberont pas à l’autre versant de
la barbarie en disqualifiant à l’avance la démarche
neuro-cognitiviste.
A) Qu’est que l’Inconscient cognitif
?
C’est l’ensemble des activités intellectuelles, perceptives,
affectives qui échappent à la perception consciente. C’est l’ensemble du
non conscient. Cet inconscient cognitif est constitué de trois propriétés nettes
et précises qui « ne sont plus des suppositions hypothétiques plus ou
moins conformes à l’opinion que
chacun d’entre nous s’est forgé sur son
inconscient » (p. 212) :
1) la
variété des processus inconscients en ne se cantonnant pas aux émotions. Ces
représentations inconscientes concernent des visages, des mots, des nombres, des
gestes plus ou moins complexes, des émotions, des images mentales, des concepts
plus abstraits, des symboles arbitraires… Cet « inconscient n’est donc pas nécessairement
stupide » (p. 213).
2) un
autre trait caractéristique de cet inconscient est la multiplicité de ces lieux
cérébraux : aussi bien les circuits sous corticaux que les réseaux du néo-cortex
ainsi que tous les recoins du cerveau : « ces différentes formes d’inconscients n’ont pas grand chose en commun, et il
est probable qu’ils échappent à notre contenu conscient pour les raisons tout à
fait distinctes les unes des
autres » (p. 214).
3) ces processus mentaux
entretiennent des relations de proximité ou même d’identité avec des processus
conscients au niveau des circuits cérébraux. Les premières ne sont pas isolées
des secondes et ne sont pas incontrôlables. « Il s’agit d’un inconscient souple et
sensible aux modifications dynamiques de la conscience du sujet » (p.
215).
Y a t-il des limites à cet inconscient cognitif ? Notre cartographe
répond par l’affirmative : « une
représentation inconsciente ne semble
pas capable de
constituer la source d’une stratégie explicite »
(p. 218). Autres limites : nous ne sommes pas conscients des différentes
représentations mentales inconscientes même si elles empruntent les mêmes
réseaux cérébraux que les représentations conscientes.
Derrière ces questions se profile le problème des mécanismes de la prise
de conscience réussie ou mise en échec.
N’oublions pas que le but de la connaissance de l’Inconscient cognitif
est de comprendre le fonctionnement mental de la manière la plus globale :
cette ambition oppose résolument ses théoriciens à Sigmund FREUD lui-même,
malgré les rapprochements sur tel ou tel aspect.
Tout cela n’étant pas très claire, l’auteur nous invitent à faire un
détour par la théorie de la conscience pour avoir une meilleure vision de
l’inconscient.
B) Qu’est que la conscience
?
C’est d’abord un espace qui limite le territoire de l’Inconscient. Il
existe une constellation d’Opérations Conscientes Non Identifiées
(OCNI). « Déterminer le propre
de la conscience, ce sur quoi elle
détient une exclusivité totale au sein de notre vie mentale nous permettrait en
effet de cerner, en négatif, l’étendue exacte de
notre inconscient cognitif » (p. 228). Le propre de la Conscience est
:
1) la rapportabilité qui est un
marqueur propre de la Conscience : « tout ce dont nous avons conscience
est rapportable et tout ce que nous
rapportons est conscient » (p. 229)
2) la maîtrise du
temps qui est un autre signe
de la Conscience : « la résistance à
l’oubli passif qui est associé au simple écoulement du temps constitue une
véritable propriété de nos représentations conscientes ... » (p.
247)
3) l’inventivité qui
est une autre caractéristique de la Conscience. Grâce à la Conscience on peut
provoquer des changements de stratégie car « cette capacité à sortir de nos habitudes
mentales, à rompre avec les automatismes de la pensée et à inventer de nouvelles règles mentales repose sur
notre conscience » (p. 250). C’est donc cette inventivité qui
accompagne les processus
d’apprentissage, de création intellectuelle et artistique, et d’actions
diverses... La capacité à créer des fictions ou des auto fictions est une
compétence exclusive de la Conscience.
Cette approche de la Conscience, suivant NACCACHE, nous conduit à la
définir plus précisément comme « un espace de travail global
conscient » et plus encore comme « un espace à géométrie variable
».
Quel est donc son substrat cérébral
?
C’est « à chaque instant l’activité neuronale cohérente et temporellement
stabilisé de l’espace de travail globale » (p 281-282). Cet « espace cérébral conscient serait ainsi
constitué d’un noyau central permanent associé de la manière transitoire et
dynamique à divers régions périphériques » (p.
284).
C) Retour sur
l’Inconscient.
Cet examen de la Conscience nous a permis de mieux cerner la vraie nature
de l’Inconscient selon l’auteur. Si la Conscience est l’opposée de
l’Inconscient, on peut affirmer que
:
1) les représentions mentales
inconscientes sont évanescentes ; c’est ce que semble confirmer un certain
nombre d’expériences dans des exercices de perceptions subliminales ou d’autres
mobilisant la voie dorsale ou dans le conditionnement inconscient de type
pavlovien.
« Cette loi s’applique à l’ensemble des représentations mentales
non-conscientes quels que soient leur contenu et leur richesse
représentationnelle » (p. 239)
2) « les processus inconscients qui entretiennent
des relations interactives permanentes avec notre vie consciente et qui sont
capable de représenter les objets les plus abstraits de notre vie mentale
s’avèrent tout simplement impuissants à engendrer des formes de pensées inventives et
originales » (p. 249). Donc une représentation mentale
inconsciente ne peut provoquer des modifications significatives intentionnelles
ou volontaires.
Lionel NACCACHE nous conduit à construire une taxonomie des Inconscients
:
A) l’Inconscient de structure.
Il s’agit d’une couche d’informations
à jamais
inaccessibles à la conscience. Nous ne serons jamais conscients de « nos neurones, de leurs synapses, de
l’architecture des circuits
neuronaux… »
B) l’Inconscient représenté mais non
connecté à l’espace de travail
global.
C) l’Inconscient représenté et
connecté mais non amplifié.
D) l’Inconscient représenté et
connecté mais amplifiable.
Cette dernière est bien l’Inconscient
cognitif et se situe au
voisinage de la Conscience. C’est l’Inconscient qui aurait pu
devenir Conscient.
Un sentiment certain de manque de clarté nous est apparu à la lecture de
ces vigoureuses démonstrations de l’auteur. Après avoir libéré l’esprit de
l’idée de dichotomie, nous nous retrouvons face, de nouveau, à une activité
neuronale cohérente et stabilisée par opposition à une autre qui est le
contraire. Résultat : il en découle une psychologie périphérique à la William
JAMES.
Cette cartographie de l’Inconscient et de la Conscience a conduit l’auteur à réhabiliter Franz GALL et sa
phrénologie ; c’est à juste titre qu’il qualifie sa conception de
néo-phrénologie. L’auteur est donc comme prisonnier des bases cérébrales. Et
pour cause, il veut créer un modèle
réaliste. Lisons-le : « s’interroger
sur la causalité des phénomènes impose au scientifique de construire un modèle
du réel. Ce modèle sera d’autant plus pertinent qu’il réussira à rendre compte de manière économe et
réaliste d’un nombre important
de données empiriques ... » (p.
264-265).
Cette ambition d’un modèle réaliste FREUD l’a tenté en 1895 dans son « projet
de psychologie scientifique à l’attention des neurologues ». Il l’a
abandonné pour un autre modèle moins réaliste, plus abstrait mais pas moins
scientifique et certainement pas parce que son époque ne possédait pas les
moyens techniques du troisième tiers de
20ème siècle. Je pense
pouvoir l’expliquer comme personne ne l’a encore fait. Allons voir !
III L’AVANCE DE SIGMUND
FREUD
Ce que la psychanalyse doit à la neurologie est immense. Sans les deux
découvertes essentielles du neurone individuel et des synapses entre 1890 et
1897, il est sûr que l’idée de plasticité de l’esprit n’aurait été possible. Si
FREUD n’était pas neurologue on peut croire qu’il serait passé à coté de cette
réalité qu’on ne pouvait aborder que par l’expérience du laboratoire. L’erreur
significative de Lionel NACCACHE est de croire qu’il suffit d’avoir à sa
disposition les moyens techniques de l’imagerie médicale moderne pour découvrir
la vérité. Il n’a d’ailleurs pas tort de dire, à propos de
FREUD, que « ses interprétations théoriques semblaient
introduire une distance abyssale avec nos théories contemporaines » (p. 344). Il n’a de cesse de lier les
soi-disant erreurs méthodologiques de FREUD à l’insuffisance des connaissances
de l’époque. « Assurément,
dit- il, FREUD ne disposait pas de toutes les informations conceptuelles,
neuropsychologiques et expérimentales produites par les neuro-sciences
cognitives du XX siècle» (p. 325). Toute la troisième partie de ce
livre, écrit pourtant avec les
meilleures intentions du monde, est construite autour d’une opposition suspecte
entre les « intuitions de
FREUD » et « les
ingénieuses expérimentations contemporaines ». Les points d’accord
entre FREUD et les neurosciences de l’esprit existent et sont nombreux. La
conception de la Conscience de FREUD, c’est-à-dire « la représentation qui est présente à notre conscience »
celle « dont nous nous
avisons » sont identiques avec celle de la science cognitiviste,
c’est-à-dire la « rapportabilité consciente ». Une forte convergence
est à noter entre l’Inconscient cognitif et celui de
FREUD.
Ils ont en commun:
- la richesse des représentations
- l’Inconscient descriptif par opposition à ce qui est
conscient, est
présente dans les deux
approches.
- le processus de prise de conscience repose dans les
deux
cas sur la
notion
d’attention
- la division de l’espace inconscient en plusieurs
catégories
quantitativement
distinctes leur est commun.
Pourtant, trois autres propriétés de l’Inconscient de FREUD s’opposent
aux neurosciences contemporaines :
- l’immortalité des représentations inconscientes qui ne
peuvent mourir ou disparaître qu’en
devenant conscientes
- les interprétations
et les désirs inconscients
- et surtout le refoulement. Et pour cause devrais-je ajouter avec
insistance !
D’ailleurs au sortir de ce voyage rempli de générosité, l’auteur avoue sa
déception et même sa déprime et la
faute en revient à FREUD dont il voulait être l’héritier qui dépasserait le
Vieux. Que Lionel NACCACHE se
rassure ! C’est un sentiment inévitable lorsque l’on veut renaître de façon
créatrice, même si on réussit...
Alors FREUD avait-il raison ?
Ou plus précisément comme le dit NACCACHE, pourquoi a t-il changé de voie, lui qui
faisait partie des grands de la neurologie, formé par de grands maîtres dont
quelques uns de ceux qui ont
transporté les principes de la physique en biologie, dans les années 1840
?
Face à la Sphinge que nous portons tous au fond de nous, Lionel NACCACHE
pose la question essentielle de son livre : « comment une culture neurologique et
expérimentale, traditionnelle dans laquelle je me reconnais moi-même, a pu
conduire Sigmund FREUD à abandonner, dans la plus grande sérénité, son rapport
initial aux sciences du système nerveux qui ne s’appelaient pas encore neurosciences pour élaborer la
psychanalyse ? Prendre cet énigme au sérieux revient à emprunter soi-même, un siècle de
neurosciences plus tard, le chemin intellectuel suivi par FREUD et, une fois
arrivé au terme de son parcours, se poser la question suivante : où suis-je ?
Quelle est pour nous aujourd’hui la signification de l’inconscient freudien
? » (p. 13-14).
J’ai la réponse sur le choix freudien de fonder une science nouvelle,
lors de sa crise de la quarantaine, juste après
la mort de son père. Ce sont les travaux publier dans le livre -c’est son grand
mérite- de Lionel NACCACHE qui m’offre la solution de l’énigme. Beaucoup
d’explications, notamment l’auto analyse, ont permis d’éclairer la grande mutation de FREUD. Elles sont
souvent excellentes. Le travail incisif et brillant de Octave MANNONI intitulé
« FREUD », paru en 1968, nous
présente l’auto-analyse de FREUD comme le prototype de tout processus
analytique. L’étude profonde, entreprise par Didier ANZIEU, appelée « L’Auto-Analyse de FREUD »,
décortiqua les rêves de ce dernier pour faire la lumière sur les fondations de
la psychanalyse et nous convainc, malgré quelques réserves, de l’importance de
la vie onirique dans la genèse du génie freudien. Cette approche sera le paradigme, selon ANZIEU, de
toute émergence du génie dans tous les domaines scientifiques et artistiques,
singulièrement en littérature. Sauf que beaucoup de gens parfaitement lettrés,
avaient entrepris ce travail intérieur, à travers une correspondance avec des
épistoliers intellectuellement doués et prestigieux, sans faire éclore une
théorie originale de la vie psychique.
Mais personne à ma connaissance, n’a
éclairé le changement à partir de l’évolution qu’opère FREUD dans ses théories
neurologiques. Ce n’est donc pas FREUD qui ne savait pas où il allait, c’est
NACCACHE qui, comme Amerigo Vespucci et les cartographes de son
temps, ne s’est pas rendu compte
qu’il n’est que là où FREUD a été entre 1895 et 1900. En effet L. NACCACHE, en plus d’être un
cartographe de l’esprit, s’en est fait l’historien. Il nous a fait parcourir
l’évolution théorique de la neurologie de John Hughlings JACKSON au XIXème
siècle aux expériences de ce début
du XXIème siècle.
Ce parcours se caractérise
par l’abandon de la dichotomie cérébrale entre un sous cortex, siège de
l’Inconscient et un néo-cortex, siège de la Conscience ; puis le
renoncement de cette dichotomie entre les neurones corticaux, siège de
l’Inconscient et les autres neurones corticaux, siège de la Conscience et pour
finir, récemment, la fin de ce clivage à l’intérieur d’un même neurone, entre
une voie dorsale siège d’activités inconscientes et la voie ventrale siège
d’activités conscientes. Et à partir de là, on est arrivé encore plus récemment
(2005) au point où la voie ventrale et la dorsale peuvent être aussi bien les
sièges de processus conscients et de processus inconscients. NACCACHE, en
reprenant le chemin de FREUD, s’est arrêté devant le gouffre. Car en lisant son
texte nous voyons qu’il est, à la
fin, revenu à son besoin de schéma réaliste. Là où Lionnel NACCACHE n’a pas
(encore) fait le saut de l’ange, FREUD l’a fait il y a un peu plus d’un siècle.
FREUD ne nie pas le soubassement cérébral et neuronal de la vie psychique ;
il renonce résolument à l’illusion
de le posséder et de le comprendre de façon réaliste.
Formé à la même école épistémologique que les novateurs de la physique moderne, c’est-à-dire celle de Ernst MACH qui ne remet nullement en cause celle de Emmanuel KANT, FREUD renonce au réalisme de la réalité et du même coup au système jacksonien qu’il avait auparavant défendu. Plus encore il s’est libéré du conflit CHARCOT/ BABINSKY sur le nature psychologique des paralysies (hystériques) ou la nature neurologique des paralysies (lésionnelles). Pourquoi ne l’a-t-il pas expliqué ? La raison me semble simple : tout cela n’appartenait plus désormais qu’à l’histoire. Sa préoccupation dès lors fut de poser les bases de sa découverte, de l’approfondir, de créer les concepts et de penser en avançant avec l’ensemble de ses concepts ; ce qui a souvent donné le sentiment d’hésitations, de contradictions, de reculs, d’impasses et même, selon certains, de ruses pour masquer son incompréhension. Son objectif me permet de mieux comprendre les raisons qui font qu’il n’a jamais voulu que soient publiées les œuvres précédant « l’Interprétation des rêves » de 1900 et surtout sa correspondance avec FLIESS. Il estimait, avec raison, avoir définitivement changé de perspective. Il avait adopté la démarche abstraite des sciences de la nature qui est aujourd’hui encore d’actualité. Il savait que la passion rétroactive des humains les pousseraient à lui reprocher ses imperfections d’alors. Notre curiosité infantile pour savoir ce qui se passe derrière la porte de la chambre des parents, en forçant les secrets de la mutation de FREUD, me convainc plus que jamais que l’essentiel de cette œuvre tumultueuse, conflictuelle, déroutante et parfois énigmatique qui va de 1900 à 1939, réside dans l’approche méthodologique nouvelle des faits psychiques. Cette approche est celle des sciences de la nature pour qui la matière étudiée est considérée comme matière en mouvement dans un espace lui-même en mouvement. C’est ce qui entraîne la construction d’une topique non figée dans un lieu réel, d’un point de vue dynamique et d’un point de vue économique pour rendre compte des relations entre les différentes parties de l’objet étudié.
L’avance prise par FREUD sur la neurologie, appelée aujourd’hui
neurosciences, est immense : penser les processus conscients et inconscients de
façon non réaliste puisque les même activités neuronales peuvent représenter les
uns et les autres. Seul la démarche abstraite qui est celle des sciences de la
nature pouvait permettre à FREUD de
parler des processus conscients et inconscients qualitativement différents à partir d’une topique abstraite. Cette façon abstraite d’aborder la
réalité, cérébrale et neuronale, nous explique pourquoi il a toujours considéré
la vie psychique comme une réalité intrinsèquement interne. L’origine de la
sexualité et des fantasmes par lesquels elle accède à la Conscience, ne pouvait
qu’être interne aussi. Je comprends donc mieux les raisons qui ne l’ont pas
entraîné à exiger des premiers praticiens qu’ils se soient pliés à une analyse
personnelle. Il suffisait qu’ils aient adopté la nouvelle vision, seule capable
de permettre des découvertes. Parmi ceux-ci, on notera la présence la présence
de Sandor FERENZI, Karl ABRAHAM et de Paul FEDERN. La nécessité d’entreprendre
une analyse personnelle viendra plus tard, à la demande de S. FERENZI, sans que
FREUD cède à l’illusion dogmatique de l’analyste hyperformé et complètement
aseptisé d’aujourd’hui.
L’incapacité d’adhérer à cette nouvelle démarche me permet de mieux saisir la dissidence de Carl Gustav JUNG et d’Alfred ADLER, sans mettre en avant leur pudibonderie supposée vis à vis de la sexualité. C. G. JUNG ne pouvait, suivant là ses penchants intellectuels et culturels personnels, construire la structure de l’Inconscient que dans le modèle offert par les mythes. A. ADLER lui, suivant ses engagements parfaitement légitimes et louables, a construit ses théorisations de l’Inconscient sur le modèle de la critique sociale, ce qui a donné une psychologie interpersonnelle qui continue à travers diverses nouvelles thérapies de l’âme dont l’ingratitude à son égard est infinie.
Depuis d’autres éminents théoriciens, s’inscrivant non plus dans les
sciences de la nature mais dans les sciences dites humaines, ont cherché, avec
un succès médiatique stupéfiant, à fonder l’Inconscient sur le modèle du langage et de sa linguistique, sur celui
des théories de l’information, sur celui de l’anthropologie, sur celui du le
structuralisme. Je ne doute pas que, dans les temps futurs, l’histoire de la
psychanalyse caractérisera cette époque, qui a cru dépasser FREUD, de
gigantesque erreur… et pas toujours généreuse.
La confrontation thème par thème avec l’auteur de ce livre formidable n’est plus nécessaire car c’est au niveau des fondements théoriques de base que se fait actuellement la décantation.
A propos de la psychanalyse on notera les imperfections des débuts, les
autocritiques, les remises en cause déchirantes... Mais ce qui ne se dément
jamais c’est la confiance absolue dans la direction prise. Les grandes
découvertes scientifiques commencent toujours leurs premiers pas dans les
souliers d’enfant et ne se maintiennent qu’en ne sacrifiant jamais
l’enthousiasme des débuts aux exigences de rigueur formelle des pouvoirs
étatiques et en acceptant de souffrir de n’être qu’une science.
CONCLUSION
Ce livre important dans l’histoire de la neurologie fait prendre
conscience qu’un champ immense de la souffrance humaine fait partie de la
réalité humaine quotidienne. Les connaissances sur les troubles de ces personnes
cérébro-lésées se sont développées de façon fantastique : l’imagerie médicale,
la pharmacologie, les techniques thérapeutiques corporelles et psychiques ont
amélioré de façon spectaculaire le confort de ces patients, depuis un peu plus
d’une trentaine d’années. Mais il y a encore beaucoup à comprendre pour mieux
agir et dans la prévention et dans la guérison de ces personnes tout en
préservant leur dignité.
Ce que la neurologie a apporté à la psychanalyse est, comme je l’ai déjà
dit, immense. Ce que la
psychanalyse peut apporter à la neurologie offre des possibilités inattendues.
Après l’étude de l’hystérie, la recherche psychanalytique s’est orientée vers
les situations mentales les plus pénibles dont les psychoses et l’autisme, avec
des résultats nuancés mais prometteurs. Son utilisation auprès des patients
cérébro-lésés pourra faire entendre, au delà du cognitif, toutes les richesses
contradictoires du bouillonnement émotionnel de ces personnes. Ceci aidera sans
aucun doute aux neurosciences d’échapper au réalisme de ses
modèles.
C’est sans surprise majeure que nous voyons surgir, à la fin
du livre, la figure de la métaphysique, à travers deux de ses grands philosophes
: DESCARTES et HUSSERL. En effet, NACCACHE
ne récuse pas les fondements de la psychanalyse à partir de meilleures
bases méthodologiques mais à partir d’une posture philosophique que nous avons
déjà rencontrée chez SARTRE dès « l’Esquisse d’une théorie des
émotions » en 1939. Pour concilier l’ontologie du sujet et la
psychologie, celle-ci ne peut être qu’empirique. C’est d’ailleurs ce qui
condamne toute théorie psychanalytique basée sur le « sujet » à l’impasse. Le « sujet de l’inconscient » même clivé
n’est qu’une variante du « sujet
transcendantal » de HUSSERL qui lui même est une variante du « je
transcendantal » de KANT qui est une réflexion sur le « je pense donc je suis » de DESCARTES.
L’erreur de NACCACHE est
donc essentielle mais elle est logique.
FREUD ne fonde pas une science nouvelle, en se comparant à d’illustres
prédécesseurs comme COPERNIC, GALLILE, DARWIN, sans avoir la maîtrise parfaite
des questions épistémologiques. Même certains milieux de la psychanalyse ont
succombé à la tentation de démasquer en Freud celui qui cache en permanence sa
dette à l’égard de certains penseurs de la philosophie occidentale. Comme si la
découverte freudienne n’était qu’une re-découverte de ce que d’autres grands
hommes ont pensé des siècles avant lui. C’est faux parce que toute métaphysique
porte en elle une théorie de l’âme qui n’a pas besoin de FREUD pour se
justifier. C’est faux parce que
FREUD répond à la question posée par KANT dès sa dissertation de 1772 : peut-on
surmonter la contradiction entre une psychologie rationnelle et une ontologie de
sujet ? Oui, répond-il, dans la « Critique de la Raison
Pure » ; soit on conserve l’ontologie et on n’a qu’une
psychologie empirique ; soit on choisit de construire une psychologie
rationnelle et là on doit abandonner toute recherche ontologique. En choisissant
la deuxième orientation, il n’y a aucune tricherie. Bien sûr, on trouvera des
analogies entre tel aspect de la pensée de FREUD et ceux de tel ou tel
philosophe, artiste, psychologue, mythologue, anthropologue etc… mais lorsqu’il
s’agira de saisir la réalité psychique que la psychanalyse investit toute
analogie s’avérera impuissante.
C’est d’ailleurs ce qui me fait
croire que l’avenir de la démarche théorique personnelle de FREUD est mieux
assuré que celui de ceux qui se réclament de la
« psychanalyse contemporaine» qui est comme l’ « art contemporain » une addition de styles différents,
c’est-à-dire une absence de style spécifique.
La singularité de NACCACHE, c’est que son regard repose sur la
fictionalisation que son conscient
cognitif ne cesse de produire à partir des matériaux inconscients que les
mécanismes de la prise de conscience modifient sans cesse. Qu’il y ait des
pièces manquantes à nos théories et de la Conscience et de l’Inconscient, est
inévitable, car comme dit notre prince de Danemark,
HAMLET :
« Il y a plus de
vérité
entre ciel et terre
que
dans toute votre philosophie » neurobiologique.
Guillaume SURENA
Psychanalyste
75 rue V. Hugo
Fort de France
0596 60-28-41
guillaume.surena@wanadoo.fr
*Lionel
NACCACHE : LE NOUVEL INCONCIENT,
Septembre
2006
FREUD, CHRISTOPHE COLOMB
DES NEUROSCIENCES
Edition : ODILE JACOB