1

LE     TEMPS    DES    AMERIGO

 

  OU

 

LES    CARTOGRAPHES   DU 

 

     NOUVEL    INCONSCIENT*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n’est pas toujours bon de se perdre

dans la contemplation gnoséologique

au creux le plus fructueux des arbres généalogiques,

(le risque étant de s’apercevoir que l’on s’est égaré au plus mauvais carrefour de l’évolution) « CESAIRE  »

 

 

 

 

 

 

                                                            A la mémoire de

                                          Madame Rosine JAMPOLSKY-CLAUSER

                                                               (1924-2005)

                                                              Psychanalyste

                    Disciple de Sigmund FREUD et d’Arthur SCHNITZLER

 

 

 

 

GUILLAUME SURENA

                                                                                  PSYCHANALYSTE


                   Le temps des amérigo  arrive toujours pour rassurer les hommes apeurés devant les conséquences imprévisibles de leurs propres actions. Ce brave et modeste Amérigo VESPUCCI, contemporain de Christophe COLOMB, n’était ni  le premier à aborder le nouveau monde, ni un des grands explorateurs, ni un érudit, ni un manipulateur et pourtant le destin a fait de son prénom, en latin « AMERICUS », le nom d’un continent  nouveau.

                   Lorsque Lionel NACCACHE donne comme sous titre, à son livre le  « Nouvel Inconscient », celui de «  FREUD, Christophe COLOMB des neurosciences », il n’agit pas avec la maladresse et la naïveté des cartographes de SAINT-Dié   dont l’erreur nominative fait de nous qui vivons de  coté-ci de la mer Océane, des américains. Son message est calculé. Son ambition est immense : réduire Sigmund FREUD au rôle de précurseur, ce dernier s’étant lui même comparé à un aventurier, à un conquistador, à COLOMB plus qu’à  un véritable homme de science. Lionel NACCACHE, lui est un authentique homme de science. Il est médecin, spécialiste en neurologie chercheur au sein de l’unité INSERM  Neuro-Image Cognitive. Il fréquente les laboratoires et bénéficie de la révolution des techniques liées à l’informatique qui font leur apparition dans la recherche médicale, dès les années 1970 ; Il voit… il voit directement ce qui se passe dans le cerveau humain, même si, en homme cultivé, il ne semble pas ignorer les pièges de la perception directe.

                   Son livre nous intéresse et aucun psychanalyste ne peut faire l’impasse sur les critiques pleines d’admiration qu’il adresse à la pensée freudienne. Son ouvrage est une reconnaissance de l’importance de la psychanalyse et avoue que toute avancée dans le domaine de l’esprit et plus précisément de la cognition ne peut faire l’économie de ce que plusieurs décennies et quelques années de psychanalyse ont élaboré.                  

                   Freud ne nous avait-il pas prévenu qu’un jour, peut-être, les découvertes de la biologie réduiront à néant les élaborations théoriques fragiles de notre nouvelle science qu’il avait créé en se séparant résolument de la neurologie ? N’avait-il pas affirmé,  avec le ton de celui qui sait ce dont il parle, que les possibilités de cette biologie sont immenses ? N’avait-il pas montré de l’insatisfaction devant les versions écrites de certaines de ses propres conceptualisations, notamment ses écrits métapsychologiques de 1914 ? Ne nous avait-il pas averti des risques qu’il y avait à se lancer dans des extrapolations aventureuses en ne travaillant qu’avec une partie des concepts qu’il avait difficilement créés ?  Depuis beaucoup de dissertations psychanalytiques ont pris ce genre de risques au point que Freud apparaît pour ceux qui se réclament de la psychanalyse contemporaine, avec une connotation « art contemporain », comme un archaïque, un dépassé dont on ferait bien de ne consulter qu’en tant que… « référence du passé »  (sic).

                   Sommes-nous arrivés à la fin d’une tentative vaine de fonder la nouvelle science ? Sommes-nous condamnés à réduire la psychanalyse à n’être qu’une technique thérapeutique, en faisant FREUD retourner au bercail  originel ou maternel de la neurologie ?

                   Lionel NACCACHE  en homme de science moderne ne travaille pas seul. Il est entouré d’autres chercheurs et il est appuyé par des maîtres de sa discipline, le plus médiatique d’entre eux étant Jean-Pierre CHANGEUX. Son regard sur FREUD est plutôt affectueux, c’est celui d’un fils qui désire savoir, dans  une posture typiquement oedipienne, ce que son père, neurologue comme lui, avait dans le ventre ou dans la tête quand il choisit de tourner le dos à la neurologie. Il jubile et on le comprend, à l’idée d’avoir résolu une énigme majeure du XXème siècle en faisant tomber de son haut la statue du conquistador FREUD ; mais il garde suffisamment d’inquiétude au fond de lui pour se rendre compte que son discours  peut reposer sur une nouvelle illusion. C’est d’ailleurs ce qui le rend sympathique. A mon tour je jubile à le voir se rapprocher si près de la psychanalyse freudienne et rater l’essentiel… Je ne désespère pas, s’il n’est pas trop tard, de le voir  rallier notre «  horde sauvage ».

                   Dans ce travail critique nous essaierons de présenter avec objectivité les thèses de Lionel NACCACHE, sans nous départir de notre parti pris freudien fondamental. Nous verrons :

                      -  la révolution à l’intérieur des neurosciences,

                      - les concepts d’Inconscient et de Conscience dans les      

                       neurosciences

                      - et l’avance prise, selon nous, par Sigmund FREUD, aussi                    bien sur  la neurologie de son temps que sur les                                       neurosciences actuelles

 

 

I) UNE REVOLUTION DANS LES NEUROSCIENCES

 

                   L’année 1890 a représenté une rupture fondamentale dans l’histoire de la neurologie.  Santiago RAMON Y CAJAL vient de découvrir l’élément le plus important du cerveau : le neurone individuel.  Si le mérite historique lui revient, c’est toute une génération de neurologues européens qui s’étaient lancés dans cette même recherche. Parmi eux on rencontre le jeune Sigmund FREUD.

                   En 1897 une deuxième découverte par le docteur Charles Scott SHERRINGTON complètera cette première avancée : le synapse.

Et quand on a consulté les archives FREUD on a découvert qu’il avait élaboré cette réalité en 1895 sous le nom de  « barrière de contact » qui est le sens d’ailleurs du mot grec « synapse ». Tout cela pour dire à quel point la vie de FREUD fut imbriqué  dans celle de la neurologie. Il avait écrit un texte sur l’aphasie en 1891 qui reposait sur  les idées  John Hughlings JACKSON connu pour son opposition aux théories sur la localisation cérébrale des troubles de la parole des personnes cérébro-lésées. L’histoire a résolu la question en sa défaveur pour adopter les perspectives de Paul BROCA et Carl WERNICKE qui sont encore d’actualité.

                   Mais John Hughlings JACKSON aura laissé son empreinte essentielle sur la discipline neurologique : la vie mentale consciente repose, selon lui, sur l’activité du néocortex cérébral alors que la motricité réflexe inconsciente et les autres processus nerveux inconscients  reposent sur l’activité des parties inférieures du cerveau, des parties plus archaïque du point de vue phylogénétique.

                   Pendant un siècle cette conception,  dont le paradigme est l’arc réflexe, dominera la neurologie des processus mentaux conscients et inconscients.  

                   L’auteur de ce livre, remarquable par sa façon de présenter les problématiques et les enjeux posés par la recherche en sciences cognitives,  annonce qu’une révolution s’est achevée en 2005. Elle avait commencé dès le début des années 1970. Tout cela fut la conséquence  d’ « un changement de paradigme en neurosciences, c’est-à-dire d’une véritable transformation du regard  porté sur l’antique question des rapports entre le cerveau et la pensée » (p. 62-63).  A l’origine de ce bouleversement, situé géographiquement dans certains campus nord américains, « les réflexions de brillants mathématiciens, cybernéticiens, linguistes, psychologues tel John von  NEUMAN, Alan TURING, Norbert WEINER , Marvin MINSK, Noam CHOMSKY ou George MILLER »  (p. 63) qui affirment que « les processus mentaux peuvent être décrits comme des processus de traitement de l’information, au sens mathématique et statistique du terme » (p. 63). Voilà une théorie qui diffère sensiblement des théories de la thermodynamique qui inspirèrent les élaborations énergétiques de la psychanalyse freudienne. La nouvelle conception repose avant tout sur l’idée de représentation.

                   Avant d’aller plus loin, essayons de suivre notre cartographe dans l’exposition de l’histoire de sa révolution à l’intérieur des sciences cognitives puisqu’il y a pris une part significative.

                   Tout aurait commencé en 1972, dans un laboratoire de la Côte Est des Etats Unis d’Amérique à partir d’une expérience de blind-sight ou vision aveugle, c’est-à-dire que le patient présente un « scotome hémi-anopsique d’origine corticale » et ne peut rien voir dans la partie droite de son champ visuel consécutivement à une lésion du cortex occipital de l’hémisphère gauche, tout à l’arrière de sa tête. En 1973 trois chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) POPPEL, HELD et FROST, allant au delà des impressions subjectives de ce genre de patients, découvrirent que ceux-ci, invités à diriger leur regard vers une source lumineuse qu’ils ne voyaient pas consciemment, se dirigeaient avec une grande précision vers ce point lumineux. La conviction s’installa, dès lors, dans la communauté scientifique que « des processus perceptifs et moteurs oeuvrent et agissent à l’insu de la conscience ». De telles expériences de dissociation entre la performance et la conscience  « constituent  des preuves de l’existence de processus cognitifs inconscients. Elles jouent en neurosciences de la cognition un véritable rôle de fondation sur lesquelles repose l’édifice de la vie mentale inconsciente » (p. 19).

                   Dès  lors se posent des questions sur les mécanismes cérébraux de ces processus inconscients, ainsi qu’une meilleure délimitation entre vie mentale consciente et vie mentale inconsciente de patients cérébro-lésés. On comprend les espérances que tous ces prémices ont soulevées chez les chercheurs et au delà. Toute une série d’expériences les plus diverses, dans les perceptions subliminales, ont renforcé la nouvelle orientation prise par les neurosciences.

                    Les recherches en neuro-anatomie qui « n’est pas science  achevée et  poussiéreuse qui n’aurait rien à nous  apprendre »    (p. 28),  nous apprennent qu’en plus de la plus célèbre des voies visuelles qui va de la rétine au cortex occipital, « il en existe d’autres confidentielles et minoritaires souvent méconnues d’un grand nombre de médecins voire de neurologues » (p. 27-28),  notamment « la voie dite colliculaire qui emprunte précisément un petit noyau situé à la face postérieure des pédoncules supérieurs qui correspondent à la partie haute du tronc cérébral » (p. 28).

                   Toutes ces bouleversantes activités de recherche ont permis de découvrir que l’expérience visuelle inconsciente, nous la partageons avec les patients blind-sight ou vision aveugle. Mais cette conception est encore prisonnière de la vision du grand John Hughlings JACKSON.

                   Notre cartographe qui est aussi historien a hâte de nous conduire vers les vrais débuts de la révolution neurocognitiviste.  Ayant fait ses premiers pas dans les habits méthodologiques en vogue à la fin du XIXème  siècle, il  était  temps  que   la neurologie  s’émancipât  vraiment. « Une façon de remettre en cause le modèle jacksonien de l’inconscient consisterait à faire la démonstration que d’authentiques phénomènes mentaux inconscients trouvent leur origine non dans les étages inférieurs du système nerveux, mais dans l’activité des régions corticales les plus complexes de notre cerveau » (p. 66). C’est ce qui se fera. Toujours à partir de l’expérience d’un patient cérébro-lésé, les chercheurs GOODALE et MILNER ont démontré l’existence, dans l’information visuelle qui va de la rétine au cortex, de deux voies :

-la voie visuelle ventrale sur laquelle reposeraient les

processus conscients. 

        - la voie visuelle dorsale sur laquelle reposeraient les                                                                                      processus inconscients.                                                                                                                                         

« C’est essentiellement la voie visuelle ventrale qui va me permettre la réalisation de la description ... de cet objet et de l’identifier comme étant une banane » (p. 74), alors qu’elle n’est pas pour grand chose quand on saisit une balle qui fonce sur nous. Là, c’est la voie dorsale qui informe le système moteur à notre insu. Sauf que nous sommes toujours dans une dichotomie : « certains secteurs anatomiques du système visuel alimenteraient notre contenu conscient, tandis que d’autres représenteraient l’information visuelle inconsciemment » (p. 83)

                   Notre historien cartographe décide de nous conduire encore plus loin : la remise en cause de la légitimité de notre conception « topique » des comportements conscients et inconscients de notre psychisme. Après nous avoir fait progresser avec sa théorie de la voie ventrale comme siège de la conscience, l’auteur nous entraîne avec un enthousiasme contagieux, dans l’esprit de contradiction : « existe t-il des situations dans lesquelles une voie visuelle ventrale continue à élaborer de riches  représentations  visuelles sans  que  le sujet  en  ait conscience »   (p. 83).

La réponse est affirmative : l’expérience clinique de l’hémi-négligence apporte, selon l’auteur, la preuve. C’est une maladie consécutive à un accident vasculaire cérébral qui touche l’hémisphère droit, au niveau d’une région du lobe pariétal : le patient sera négligent de la moitié de son environnement ; c’est « par excellence, une maladie de la conscience qui se caractérise par la perte de la conscience de  l’existence du coté gauche » (p. 86).  Des expériences avec ces patients ont permis de rendre compte du fait que la « voie visuelle mentale anatomiquement saine continuait effectivement à représenter inconsciemment la partie gauche de l’univers de ces patients » (p. 88). Les psychologues anglais John MARSHALL et Peter HALLIGAN on fait ces expériences en 1998 et les ont répétées. Des études réalisées en IRM fonctionnelle en  l’an 2000 ont confirmé la prise en charge de ce qui est inconscient pour la voie visuelle ventrale. C’en était, dès lors, fini de la distinction anatomique de la conscience et de l’inconscient. « Il n’existe pas de lieu  propre à la conscience. La conscience n’a pas de lieu propre : elle est    au sens étymologique u-topique ou a-topique » (p. 93) et donc « il  semble bien  que n’importe quelle portion de nos voies visuelles cérébrales  puisse  héberger  des représentations mentales inconscientes » (p. 94).

                   Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler que cette géniale découverte de notre cartographe du cerveau a été faite de façon certaine par Freud entre 1895-1900. Nous verrons plus loin, que pour les mêmes raisons indiquées ici, sa topique de la vie psychique en Inconscient- Préconscient-Conscient, ne représente pas  non plus des lieux réels de la structure cérébrale. Notre cartographe est d’ailleurs conscient du génie qu’il a fallu à Freud pour en arriver là. A mon tour, je ne peux que saluer l’effort opéré par les neurosciences pour se hisser au niveau atteint par FREUD, avec un siècle de retard, il est vrai, à partir d’autres types de patients. Sauf que nous n’en sommes pas quittes !             

                  Notre cartographe réduit les avancées de FREUD  à être des « intuitions » par opposition aux  « méthodes contemporaines véritablement  scientifiques ». Lionel NACCACHE confond technologie et science. Face à l’impossibilité de saisir l’essence des choses, KANT nous a indiqué que la science repose sur la construction de concepts. L’épistémologie contemporaine, y compris celle qui fait office de résistance à la psychanalyse, ne remet pas en cause les principes de KANT. Les physiciens ne perçoivent pas les particules élémentaires, ni les trous noirs dans l’univers. Les biologistes ne voient pas les virus ou rétro virus, ils savent leur existence à partir de l’analyse des anti- corps. Mais tout cela LIONEL NACCACHE le sait…

                   Continuons la connaissance de cette passionnante recherche…   

        

 

II) « INCONSCIENT ET CONSCIENT DANS LE NEURO SCIENCES »

 

 

Le risque de confondre la carte et le territoire existait déjà à l’époque de Christophe Colomb, il existe encore plus aujourd’hui, à cause de l’illusion de vérité absolue que donne les images des machines informatiques modernes. Le cartographe Lionel  NACCACHE n’échappe pas à la règle.

                   Toute définition de l’Inconscient suppose la saisie de ce qui constitue son contraire, la Conscience.  Nous avons déjà vu que, dans ce travail de recherche remarquable, la dichotomie cérébrale et neuronale de ce qui est conscient et de ce qui est inconscient n’est pas de mise. Les relations interactives entre les deux catégories de la vie mentale sont permanentes.

                             Cette construction de l’inconscient cognitif repose, comme le souligne l’auteur, sur les développements de l’imagerie  cérébrale fonctionnelle, la psychologie cognitive dont le paradigme nouveau s’appuie sur la théorie de l’information du point de vue mathématique et statistique, et la neuropsychologie clinique. L’essentiel des patients de cette clinique sont cérébro-lésés et notre cartographe généralise sa découverte, parallèlement, aux personnes saines.                                     

                   Le but de L. NACCACHE et de son équipe est de reconstituer le projet de phrénologie de Franz GALL, en supprimant quelques bosses, et autres aspérités : « lire le contenu de l’esprit en observant le cerveau penser » (p. 10).

                    Il ne s’agit point de construire une théorie de l’inconscient en parallèle avec celle de la psychanalyse. Il s’agit pour NACCACHE et son équipe de se confronter à FREUD lui-même car « élaborer un discours contemporain sur l’inconscient et faire l’économie d’une discussion de la pensée freudienne relèverait, je crois, du mépris ou de l’ignorance, bref d’une barbarie intellectuelle » (p. 13).  L’intention est claire : remplacer la conception freudienne, au mieux faire d’elle un département d’une pensée plus globale. C’est donc « répondre à la question brûlante qui occupe nécessairement le centre de toute réflexion occidentale contemporaine sur l’inconscient : FREUD  avait-il raison ? » (p. 212). Espérons que les psychanalystes ne succomberont pas à l’autre versant de la barbarie en disqualifiant à l’avance la démarche neuro-cognitiviste.

 

    A)   Qu’est que l’Inconscient cognitif ?

                   C’est  l’ensemble  des  activités  intellectuelles,   perceptives,                          affectives qui échappent à la perception consciente. C’est l’ensemble du non conscient. Cet inconscient cognitif est constitué de trois propriétés nettes et précises qui « ne sont plus  des suppositions hypothétiques plus ou moins conformes à l’opinion  que chacun d’entre nous s’est forgé sur son  inconscient » (p. 212)  :                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

                   1) la variété des processus inconscients en ne se cantonnant pas aux émotions. Ces représentations inconscientes concernent des visages, des mots, des nombres, des gestes plus ou moins complexes, des émotions, des images mentales, des concepts plus abstraits, des symboles arbitraires… Cet «  inconscient n’est donc pas nécessairement stupide » (p. 213).

        2) un autre trait caractéristique de cet inconscient est la multiplicité de ces lieux cérébraux : aussi bien les circuits sous corticaux que les réseaux du néo-cortex ainsi que tous les recoins du cerveau : « ces différentes formes d’inconscients  n’ont pas grand chose en commun, et il est probable qu’ils échappent à notre contenu conscient pour les raisons tout à fait distinctes les unes des  autres » (p. 214).

        3)  ces processus mentaux entretiennent des relations de proximité ou même d’identité avec des processus conscients au niveau des circuits cérébraux. Les premières ne sont pas isolées des secondes et ne sont pas incontrôlables. « Il s’agit d’un inconscient souple et sensible aux modifications dynamiques de la conscience du sujet » (p. 215).

 

                   Y a t-il des limites à cet inconscient cognitif ? Notre cartographe répond par l’affirmative : « une représentation inconsciente ne semble  pas  capable  de  constituer  la  source d’une stratégie explicite » (p. 218). Autres limites : nous ne sommes pas conscients des différentes représentations mentales inconscientes même si elles  empruntent les mêmes réseaux cérébraux que les représentations conscientes.

          Derrière ces questions se profile le problème des mécanismes de la prise de conscience réussie ou mise en échec.

                   N’oublions pas que le but de la connaissance de l’Inconscient cognitif est de comprendre le fonctionnement mental de la manière la plus globale : cette ambition oppose résolument ses théoriciens à Sigmund FREUD lui-même, malgré les rapprochements sur tel ou tel aspect.

                   Tout cela n’étant pas très claire, l’auteur nous invitent à faire un détour par la théorie de la conscience pour avoir une meilleure vision de l’inconscient.

 

 

B) Qu’est que la conscience ?

                   C’est d’abord un espace qui limite le territoire de l’Inconscient. Il existe une constellation d’Opérations Conscientes Non Identifiées (OCNI). « Déterminer le propre de la  conscience, ce sur quoi elle détient une exclusivité totale au sein de notre vie mentale nous permettrait en effet de cerner,  en  négatif,  l’étendue  exacte  de  notre  inconscient  cognitif »  (p. 228).  Le propre de la Conscience est :

 

      1) la rapportabilité qui est un marqueur propre de  la  Conscience : « tout ce dont nous avons conscience est  rapportable et tout ce que nous rapportons est conscient » (p. 229)

      2) la  maîtrise  du  temps  qui est un autre signe de la Conscience : « la résistance à l’oubli passif qui est associé au simple écoulement du temps constitue une véritable propriété de nos représentations conscientes ... » (p. 247)

     3) l’inventivité qui est une autre caractéristique de la Conscience. Grâce à la Conscience on peut provoquer des changements de stratégie car « cette capacité à sortir de nos habitudes mentales, à rompre avec les automatismes de la pensée et à inventer de  nouvelles règles mentales repose sur notre conscience » (p. 250). C’est donc cette inventivité qui accompagne  les processus d’apprentissage, de création intellectuelle et artistique, et d’actions diverses... La capacité à créer des fictions ou des auto fictions est une compétence exclusive de la Conscience.

 

                   Cette approche de la Conscience, suivant NACCACHE, nous conduit à la définir plus précisément comme « un espace de travail global conscient » et plus encore comme « un espace à géométrie variable ».

 

Quel est donc son substrat cérébral ?

C’est «  à chaque instant l’activité  neuronale cohérente et temporellement stabilisé de l’espace de travail globale » (p 281-282). Cet « espace cérébral conscient serait ainsi constitué d’un noyau central permanent associé de la manière transitoire et dynamique à divers régions périphériques » (p. 284).

 

 

 

C) Retour sur l’Inconscient.

                   Cet examen de la Conscience nous a permis de mieux cerner la vraie nature de l’Inconscient selon l’auteur. Si la Conscience est l’opposée de l’Inconscient, on peut affirmer  que :

1) les représentions mentales inconscientes sont évanescentes ; c’est ce que semble confirmer un certain nombre d’expériences dans des exercices de perceptions subliminales ou d’autres mobilisant la voie dorsale ou dans le conditionnement inconscient de type pavlovien.

« Cette loi s’applique à l’ensemble  des représentations mentales non-conscientes quels que soient leur contenu et leur richesse représentationnelle » (p. 239)          

2) « les processus inconscients qui entretiennent des relations interactives permanentes avec notre vie consciente et qui sont capable de représenter les objets les plus abstraits de notre vie mentale s’avèrent tout simplement impuissants à engendrer des formes   de  pensées  inventives  et  originales » (p. 249). Donc une représentation mentale inconsciente ne peut provoquer des modifications significatives intentionnelles ou volontaires.

                   Lionel NACCACHE nous conduit à construire une taxonomie des Inconscients :       

          A) l’Inconscient de structure.

Il s’agit d’une couche d’informations à jamais         inaccessibles à la conscience. Nous ne serons jamais conscients de « nos neurones, de leurs synapses, de l’architecture des circuits            neuronaux… »

B) l’Inconscient représenté mais non connecté à l’espace de       travail global.

C) l’Inconscient représenté et connecté mais non amplifié.

D) l’Inconscient représenté et connecté mais amplifiable.

Cette dernière est bien l’Inconscient cognitif et se situe au           voisinage de la Conscience. C’est l’Inconscient qui aurait pu         devenir Conscient.

 

                   Un sentiment certain de manque de clarté nous est apparu à la lecture de ces vigoureuses démonstrations de l’auteur. Après avoir libéré l’esprit de l’idée de dichotomie, nous nous retrouvons face, de nouveau, à une activité neuronale cohérente et stabilisée par opposition à une autre qui est le contraire. Résultat : il en découle une psychologie périphérique à la William JAMES.          

                   Cette cartographie de l’Inconscient et de la Conscience a conduit  l’auteur à réhabiliter Franz GALL et sa phrénologie ; c’est à juste titre qu’il qualifie sa conception de néo-phrénologie. L’auteur est donc comme prisonnier des bases cérébrales. Et pour cause, il veut créer un  modèle réaliste. Lisons-le : « s’interroger sur la causalité des phénomènes impose au scientifique de construire un modèle du réel. Ce modèle sera d’autant plus pertinent qu’il réussira à  rendre compte de manière économe et réaliste d’un nombre important  de  données  empiriques ... » (p. 264-265).

                   Cette ambition d’un modèle réaliste FREUD  l’a tenté en 1895 dans son « projet de psychologie scientifique à l’attention des neurologues ». Il l’a abandonné pour un autre modèle moins réaliste, plus abstrait mais pas moins scientifique et certainement pas parce que son époque ne possédait pas les moyens techniques du troisième tiers de  20ème  siècle. Je pense pouvoir l’expliquer comme personne ne l’a encore fait.  Allons voir !

 

 

III  L’AVANCE DE SIGMUND FREUD

 

                   Ce que la psychanalyse doit à la neurologie est immense. Sans les deux découvertes essentielles du neurone individuel et des synapses entre 1890 et 1897, il est sûr que l’idée de plasticité de l’esprit n’aurait été possible. Si FREUD n’était pas neurologue on peut croire qu’il serait passé à coté de cette réalité qu’on ne pouvait aborder que par l’expérience du laboratoire. L’erreur significative de Lionel NACCACHE est de croire qu’il suffit d’avoir à sa disposition les moyens techniques de l’imagerie médicale moderne pour découvrir la vérité. Il n’a d’ailleurs pas tort de dire, à propos  de  FREUD, que  « ses interprétations théoriques semblaient introduire une  distance  abyssale avec  nos  théories  contemporaines »  (p. 344). Il n’a de cesse de lier les soi-disant erreurs méthodologiques de FREUD à l’insuffisance des connaissances de l’époque. «  Assurément, dit- il, FREUD ne disposait pas de toutes les informations conceptuelles, neuropsychologiques et expérimentales produites par les neuro-sciences cognitives du XX siècle» (p. 325). Toute la troisième partie de ce livre, écrit  pourtant avec les meilleures intentions du monde, est construite autour d’une opposition suspecte entre les « intuitions de FREUD » et « les ingénieuses expérimentations contemporaines ». Les points d’accord entre FREUD et les neurosciences de l’esprit existent et sont nombreux. La conception de la Conscience de FREUD, c’est-à-dire «  la représentation qui est présente  à notre conscience » celle « dont nous nous avisons » sont identiques avec celle de la science cognitiviste, c’est-à-dire la « rapportabilité consciente ». Une forte convergence est à noter entre l’Inconscient cognitif et celui de FREUD.

                   Ils ont en commun:

               - la richesse des représentations

              -   l’Inconscient   descriptif   par    opposition à   ce   qui   est

      conscient, est présente dans  les deux approches.

              - le processus  de  prise de  conscience   repose dans les deux

      cas sur la notion  d’attention

              - la division de l’espace inconscient en plusieurs catégories

      quantitativement distinctes leur est  commun.          

 

                   Pourtant, trois autres propriétés de l’Inconscient de FREUD s’opposent aux neurosciences contemporaines :

                    - l’immortalité des représentations inconscientes qui ne

           peuvent mourir ou disparaître qu’en devenant conscientes

                   - les interprétations et les désirs inconscients

                                      - et surtout le refoulement. Et pour cause devrais-je ajouter         avec insistance !

 

                   D’ailleurs au sortir de ce voyage rempli de générosité, l’auteur avoue sa déception et même sa déprime  et la faute en revient à FREUD dont il voulait être l’héritier qui dépasserait le Vieux. Que Lionel NACCACHE  se rassure ! C’est un sentiment inévitable lorsque l’on veut renaître de façon créatrice, même si on réussit...

                             Alors FREUD avait-il raison ?  Ou plus précisément comme le dit NACCACHE,  pourquoi a t-il changé de voie, lui qui faisait partie des grands de la neurologie, formé par de grands maîtres dont quelques uns de ceux qui  ont transporté les principes de la physique en biologie, dans les années 1840 ?

                   Face à la Sphinge que nous portons tous au fond de nous, Lionel NACCACHE pose la question essentielle de son livre : « comment une culture neurologique et expérimentale, traditionnelle dans laquelle je me reconnais moi-même, a pu conduire Sigmund FREUD à abandonner, dans la plus grande sérénité, son rapport initial aux sciences du système nerveux qui ne s’appelaient pas  encore neurosciences pour élaborer la psychanalyse ? Prendre cet énigme au sérieux revient  à emprunter soi-même, un siècle de neurosciences plus tard, le chemin intellectuel suivi par FREUD et, une fois arrivé au terme de son parcours, se poser la question suivante : où suis-je ? Quelle est pour nous aujourd’hui la signification de l’inconscient freudien ? » (p. 13-14).

                   J’ai la réponse sur le choix freudien de fonder une science nouvelle, lors  de  sa crise de la quarantaine, juste après la mort de son père. Ce sont les travaux publier dans le livre -c’est son grand mérite- de Lionel NACCACHE qui m’offre la solution de l’énigme. Beaucoup d’explications, notamment l’auto analyse, ont permis d’éclairer la  grande mutation de FREUD. Elles sont souvent excellentes. Le travail incisif et brillant de Octave MANNONI intitulé « FREUD », paru en 1968, nous présente l’auto-analyse de FREUD comme le prototype de tout processus analytique. L’étude profonde, entreprise par Didier ANZIEU, appelée « L’Auto-Analyse de FREUD », décortiqua les rêves de ce dernier pour faire la lumière sur les fondations de la psychanalyse et nous convainc, malgré quelques réserves, de l’importance de la vie onirique dans la genèse du génie freudien. Cette approche  sera le paradigme, selon ANZIEU, de toute émergence du génie dans tous les domaines scientifiques et artistiques, singulièrement en littérature. Sauf que beaucoup de gens parfaitement lettrés, avaient entrepris ce travail intérieur, à travers une correspondance avec des épistoliers intellectuellement doués et prestigieux, sans faire éclore une théorie originale de la vie psychique.

Mais personne à ma connaissance, n’a éclairé le changement à partir de l’évolution qu’opère FREUD dans ses théories neurologiques. Ce n’est donc pas FREUD qui ne savait pas où il allait, c’est NACCACHE qui, comme Amerigo Vespucci et les cartographes de son temps, ne s’est pas rendu compte  qu’il n’est que là où FREUD a été entre 1895 et 1900.  En effet L. NACCACHE, en plus d’être un cartographe de l’esprit, s’en est fait l’historien. Il nous a fait parcourir l’évolution théorique de la neurologie de John Hughlings JACKSON au XIXème siècle  aux expériences de ce début du XXIème siècle.

                             Ce parcours se caractérise  par l’abandon de la dichotomie cérébrale entre un sous cortex, siège de l’Inconscient et un néo-cortex, siège de la Conscience ; puis le renoncement de cette dichotomie entre les neurones corticaux, siège de l’Inconscient et les autres neurones corticaux, siège de la Conscience et pour finir, récemment, la fin de ce clivage à l’intérieur d’un même neurone, entre une voie dorsale siège d’activités inconscientes et la voie ventrale siège d’activités conscientes. Et à partir de là, on est arrivé encore plus récemment (2005) au point où la voie ventrale et la dorsale peuvent être aussi bien les sièges de processus conscients et de processus inconscients. NACCACHE, en reprenant le chemin de FREUD, s’est arrêté devant le gouffre. Car en lisant son texte nous voyons  qu’il est, à la fin, revenu à son besoin de schéma réaliste. Là où Lionnel NACCACHE n’a pas (encore) fait le saut de l’ange, FREUD l’a fait il y a un peu plus d’un siècle. FREUD ne nie pas le soubassement cérébral et neuronal de la vie psychique ; il  renonce résolument à l’illusion de le posséder et de le comprendre de façon réaliste.

                   Formé à la même école épistémologique que les novateurs de la physique moderne, c’est-à-dire celle de Ernst MACH qui ne remet nullement en cause celle de Emmanuel KANT, FREUD renonce au réalisme de la réalité et du même coup au système jacksonien qu’il avait auparavant défendu. Plus encore il s’est libéré du conflit CHARCOT/ BABINSKY sur le nature psychologique des paralysies (hystériques) ou la nature neurologique des paralysies (lésionnelles). Pourquoi ne l’a-t-il pas expliqué ? La raison me semble simple : tout cela n’appartenait plus désormais qu’à l’histoire. Sa préoccupation dès lors fut de poser les bases de sa découverte, de l’approfondir, de créer les concepts et de penser en avançant avec l’ensemble de ses concepts ; ce qui a souvent donné le sentiment d’hésitations, de contradictions, de reculs, d’impasses et même, selon certains, de ruses pour masquer son incompréhension. Son objectif me permet de mieux comprendre les raisons qui font qu’il n’a jamais voulu que soient publiées les œuvres précédant « l’Interprétation des rêves » de 1900 et surtout sa correspondance avec FLIESS. Il estimait, avec raison, avoir définitivement changé de perspective. Il avait adopté la démarche abstraite des sciences de la nature qui est aujourd’hui encore d’actualité. Il savait que la passion rétroactive des humains les pousseraient à lui reprocher ses imperfections d’alors. Notre curiosité infantile pour savoir ce qui se passe derrière la porte de la chambre des parents, en forçant les secrets de la mutation de FREUD, me convainc plus que jamais que l’essentiel de cette œuvre tumultueuse, conflictuelle, déroutante et parfois énigmatique qui va de 1900 à 1939, réside dans l’approche méthodologique nouvelle des faits psychiques. Cette approche est celle des sciences de la nature pour qui la matière étudiée est considérée comme matière en mouvement dans un espace lui-même en mouvement. C’est ce qui entraîne la construction d’une topique non figée dans un lieu réel, d’un point de vue dynamique et d’un point de vue économique pour rendre compte des relations entre les différentes parties de l’objet étudié.

                  L’avance prise par FREUD sur la neurologie, appelée aujourd’hui neurosciences, est immense : penser les processus conscients et inconscients de façon non réaliste puisque les même activités neuronales peuvent représenter les uns et les autres. Seul la démarche abstraite qui est celle des sciences de la nature pouvait permettre  à FREUD de parler des processus conscients et inconscients qualitativement différents  à partir d’une topique abstraite.  Cette façon abstraite d’aborder la réalité, cérébrale et neuronale, nous explique pourquoi il a toujours considéré la vie psychique comme une réalité intrinsèquement interne. L’origine de la sexualité et des fantasmes par lesquels elle accède à la Conscience, ne pouvait qu’être interne aussi. Je comprends donc mieux les raisons qui ne l’ont pas entraîné à exiger des premiers praticiens qu’ils se soient pliés à une analyse personnelle. Il suffisait qu’ils aient adopté la nouvelle vision, seule capable de permettre des découvertes. Parmi ceux-ci, on notera la présence la présence de Sandor FERENZI, Karl ABRAHAM et de Paul FEDERN. La nécessité d’entreprendre une analyse personnelle viendra plus tard, à la demande de S. FERENZI, sans que FREUD cède à l’illusion dogmatique de l’analyste hyperformé et complètement aseptisé d’aujourd’hui.

                   L’incapacité d’adhérer à cette nouvelle démarche me permet de mieux saisir la dissidence de Carl Gustav JUNG et d’Alfred ADLER, sans mettre en avant leur pudibonderie supposée vis à vis de la sexualité. C. G. JUNG ne pouvait, suivant là ses penchants intellectuels et culturels personnels, construire la structure de l’Inconscient que dans le modèle offert par les mythes.  A. ADLER lui, suivant ses engagements parfaitement légitimes et louables, a construit ses théorisations de l’Inconscient sur le modèle de la critique sociale, ce qui a donné une psychologie interpersonnelle qui continue à travers diverses nouvelles thérapies de l’âme dont l’ingratitude à son égard est infinie.

                   Depuis d’autres éminents théoriciens, s’inscrivant non plus dans les sciences de la nature mais dans les sciences dites humaines, ont cherché, avec un succès médiatique stupéfiant, à fonder l’Inconscient sur le modèle du  langage et de sa linguistique, sur celui des théories de l’information, sur celui de l’anthropologie, sur celui du le structuralisme. Je ne doute pas que, dans les temps futurs, l’histoire de la psychanalyse caractérisera cette époque, qui a cru dépasser FREUD, de gigantesque erreur… et pas toujours généreuse.

                   La confrontation  thème par thème avec l’auteur de ce livre formidable n’est plus nécessaire car c’est au niveau des fondements théoriques de base que se fait actuellement  la décantation.

                     A propos de la psychanalyse on notera les imperfections des débuts, les autocritiques, les remises en cause déchirantes... Mais ce qui ne se dément jamais c’est la confiance absolue dans la direction prise. Les grandes découvertes scientifiques commencent toujours leurs premiers pas dans les souliers d’enfant et ne se maintiennent qu’en ne sacrifiant jamais l’enthousiasme des débuts aux exigences de rigueur formelle des pouvoirs étatiques et en acceptant de souffrir de n’être qu’une science.

 

 

CONCLUSION

                   Ce livre important dans l’histoire de la neurologie fait prendre conscience qu’un champ immense de la souffrance humaine fait partie de la réalité humaine quotidienne. Les connaissances sur les troubles de ces personnes cérébro-lésées se sont développées de façon fantastique : l’imagerie médicale, la pharmacologie, les techniques thérapeutiques corporelles et psychiques ont amélioré de façon spectaculaire le confort de ces patients, depuis un peu plus d’une trentaine d’années. Mais il y a encore beaucoup à comprendre pour mieux agir et dans la prévention et dans la guérison de ces personnes tout en préservant leur dignité.

                   Ce que la neurologie a apporté à la psychanalyse est, comme je l’ai déjà dit, immense. Ce que  la psychanalyse peut apporter à la neurologie offre des possibilités inattendues. Après l’étude de l’hystérie, la recherche psychanalytique s’est orientée vers les situations mentales les plus pénibles dont les psychoses et l’autisme, avec des résultats nuancés mais prometteurs. Son utilisation auprès des patients cérébro-lésés pourra faire entendre, au delà du cognitif, toutes les richesses contradictoires du bouillonnement émotionnel de ces personnes. Ceci aidera sans aucun doute aux neurosciences d’échapper au réalisme de ses modèles.

                   C’est  sans surprise  majeure que nous voyons surgir, à la fin du livre, la figure de la métaphysique, à travers deux de ses grands philosophes : DESCARTES et HUSSERL. En effet, NACCACHE  ne récuse pas les fondements de la psychanalyse à partir de meilleures bases méthodologiques mais à partir d’une posture philosophique que nous avons déjà rencontrée chez SARTRE dès « l’Esquisse d’une théorie des émotions » en 1939. Pour concilier l’ontologie du sujet et la psychologie, celle-ci ne peut être qu’empirique. C’est d’ailleurs ce qui condamne toute théorie psychanalytique basée sur le « sujet  » à l’impasse. Le « sujet de l’inconscient » même clivé n’est qu’une variante du « sujet transcendantal » de HUSSERL qui lui même est une variante du « je transcendantal » de KANT qui est une réflexion sur le «  je pense donc je suis » de DESCARTES.

                   L’erreur de NACCACHE  est donc essentielle mais elle est logique.

                   FREUD ne fonde pas une science nouvelle, en se comparant à d’illustres prédécesseurs comme COPERNIC, GALLILE, DARWIN, sans avoir la maîtrise parfaite des questions épistémologiques. Même certains milieux de la psychanalyse ont succombé à la tentation de démasquer en Freud celui qui cache en permanence sa dette à l’égard de certains penseurs de la philosophie occidentale. Comme si la découverte freudienne n’était qu’une re-découverte de ce que d’autres grands hommes ont pensé des siècles avant lui. C’est faux parce que toute métaphysique porte en elle une théorie de l’âme qui n’a pas besoin de FREUD pour se justifier. C’est faux  parce que FREUD répond à la question posée par KANT dès sa dissertation de 1772 : peut-on surmonter la contradiction entre une psychologie rationnelle et une ontologie de sujet ? Oui, répond-il, dans la « Critique de la Raison Pure » ; soit on conserve l’ontologie et on n’a qu’une psychologie empirique ; soit on choisit de construire une psychologie rationnelle et là on doit abandonner toute recherche ontologique. En choisissant la deuxième orientation, il n’y a aucune tricherie. Bien sûr, on trouvera des analogies entre tel aspect de la pensée de FREUD et ceux de tel ou tel philosophe, artiste, psychologue, mythologue, anthropologue etc… mais lorsqu’il s’agira de saisir la réalité psychique que la psychanalyse investit toute analogie s’avérera impuissante.

C’est d’ailleurs ce qui me fait croire que l’avenir de la démarche théorique personnelle de FREUD est mieux assuré que celui de ceux qui se réclament de la « psychanalyse contemporaine» qui est comme  l’ « art contemporain »  une addition de styles différents, c’est-à-dire une absence de style spécifique.

          La singularité de NACCACHE, c’est que son regard repose sur la fictionalisation que son  conscient cognitif ne cesse de produire à partir des matériaux inconscients que les mécanismes de la prise de conscience modifient sans cesse. Qu’il y ait des pièces manquantes à nos théories et de la Conscience et de l’Inconscient, est inévitable, car comme dit notre prince de Danemark, HAMLET :

 

 

«  Il y a plus de vérité

entre ciel et terre que

                                         dans toute votre philosophie » neurobiologique. 

 

 

 

 

 

 

Guillaume SURENA

Psychanalyste 

75 rue V. Hugo

Fort de France

0596 60-28-41

guillaume.surena@wanadoo.fr

 

 

 

 

 

 

 *Lionel NACCACHE : LE NOUVEL INCONCIENT,

  Septembre 2006           FREUD, CHRISTOPHE COLOMB

                                        DES NEUROSCIENCES   

 

                                        Edition : ODILE JACOB