Le livre de
Robert CHAUDENSON «
L’ambition de ce livre ou de ce manuel est de faire le point sur les travaux de la créolistique sur plusieurs dizaines d’années. Il s’agit de donner une définition précise du créole qu’il distingue des « pidgins » et des français marginaux.
Le but, atteint selon moi, est de construire ou reconstruire la genèse non pas du créole, mais bien des créoles en les replaçant dans leur contexte historico-social.
Une vérité première pour saisir la portée de ce livre : il n’est pas vrai que la rencontre de langues différentes entraîne un mélange et donne naissance à une nouvelle langue, comme des liquides différents dans une éprouvette.
La deuxième vérité c’est que la créolisation, selon CHAUDENSON, n’a rien à voir avec la conception pseudo-philosophique de E. GLISSANT selon laquelle « Tout le monde se rend compte que le monde est en train de devenir composite, c’est-à-dire créolisé …. » (sic), vision idéologique de la société des blancs créoles depuis le début de la colonisation. Selon CHAUDENSON la créolisation « est en fait un phénomène essentiellement sociolinguistique » (page 74) et « loin d’être la règle, la créolisation apparaît donc plutôt comme l’exception (p.75) ».
L’auteur dont les connaissances englobent l’ensemble des créoles, nous invite à distinguer ces créoles des « pidgins » et des français marginaux.
Un pidgin est un système langagier ayant un lexique limité et une syntaxe réduite, pour communiquer dans des fonctions sociales limitées ; les personnes d’origine linguistique différente continuent à parler leur langue et (ou) d’autres langues en dehors de ces dites situations. Ceci n’est pas le cas des créoles.
Ceux-ci ne sont pas non plus du français marginalisé : un Français de France écoutant du Français québécois ou acadien comprend sans grand effort ce qu’il entend, s’il entend un créole il ne le peut pas.
L’auteur divise les créoles français en deux zones : la zone américano-caribéenne ou Z.A.C., et la zone de l’Océan indien ou O.I.
Dans les créoles de
Dans les créoles de l’O.I., c’est encore plus vrai. Les idéologues de l’origine africaine ont mis en avant la langue malgache. Pour leur malheur, le malgache n’est pas une langue africaine ; c’est une langue malayo-polynésienne. La thèse du mélange des langues est infirmée par le simple fait que l’arrivée massive de Tamouls après l’abolition, n’a fait subir aucune modification significative au créole, à l’île Maurice. Ils forment 2/3 de la population.
L’un des grands mérites du livre de CHAUDENSON est de donner la part belle aux thèses de ses adversaires et de les discuter. La recherche créolistique se partage en deux grands courants : les subtratistes qui font du créole une langue d’origine africaine et les superstratistes qui en font une langue néo-romane.
Parmi le subtratistes, il n’y a pas un Guadeloupéen et pas un Martiniquais cité. Ces derniers sont des subtratistes de seconde zone. Les vrais sont essentiellement des Américains du Nord qui ont une bonne connaissance de la langue académique mais ne possèdent pas une pratique suffisante des différents niveaux du français courant. Leur thèse sur l’origine d’un substrat d’une langue africaine relexifiée en français est à l’origine de cette aberration qui s’appelle : « créole à base lexicale française » ou C.B.L.F.
L’auteur donne longuement la parole à ses adversaires, ce qui donne un sentiment de longueur qui déséquilibre parfois l’économie du livre.
CHAUDENSON que l’on a vite classé parmi les superstratistes ne nie pas l’idée d’un substrat. Pour lui, les créoles ne sont pas des langues néo-romanes, et ajoute-il, « les créoles ne sont pas des simplifications du français » (p. 193). Il adhère totalement à la thèse du substrat. Sauf que ce dernier est la langue française, non le français académique d’aujourd’hui, mais le français ou les français populaires des XVII ème et XVIII ème siècle. L’auteur va très loin : non seulement les créoles ont pour origine les parlers populaires du français ancien par le lexique mais aussi et surtout par la syntaxe. Il nous invite à faire abstraction de la prononciation du français d’aujourd’hui pour retrouver celle du vieux français. Et là, si on est honnête, on est obligé de faire le lien, à l’oreille, entre la structure grammaticale du créole et celle du français parlé dans les colonies par les premiers colons. Je me flatte d’avoir eu l’intuition de ces choses depuis plus de vingt ans, à partir de mon travail sur l’apprentissage du langage avec les enfants.
CHAUDENSON construit une genèse des créoles à partir d’un schéma
théorique cohérent. Il ne cache pas ses difficultés, ses ignorances, ses
impasses ; il pose les bases qui sont indispensables pour aller plus loin
dans l’étude de nos créoles. Et ce n’est pas son vrai faux ami de près de 30
ans, BERNABE J., J. comme judas selon les dires de Raphaël CONFIANT, (couriel du
13 février 2004 à 9 h
C’est bien ce
Jean Bernabé qui disait en janvier 2002, devant un parterre de créolistes, à
Sainte Lucie, « que si Robert CHAUDENSON, qui est ici, n’avait jamais
existé, s’il n’avait pas été un intellectuel et un créoliste, nous n’en serions
pas là où nous en sommes aujourd’hui » (Antilla
n° 1077, 11 février 2004, page 26). Il est vrai que Jean
« Judas » BERNABE qui n’est pas linguiste de formation mais qui
possède une agrégation pour enseigner
les humanités gréco-latines
dans
les
collèges et lycées, n’est
pas à une contradiction près.
Ce livre remarquable nous montre les deux grands moments de la formation des créoles français : la période de la société d’Habitation et celle de la société de Plantation.
Dans la première période,
les Français qui pratiquent les parlers de
Ce français koénisé devient dès lors celui que toute la population doit acquérir, au cours d’un apprentissage non guidé. Les esclaves qui sont moins nombreux que les blancs au début de la colonisation l’apprennent vite, au point d’être capable de l’enseigner à certains blancs en train de débarquer.
A cette époque succédera celle de la société de Plantation avec l’arrivée
massive d’Africains en majorité jeunes qui seront placés en position
d’apprenants par rapport à ce français koénisé des maîtres et de leurs esclaves.
C’est à ce moment historique que se situerait la création de cette vraie langue,
appelée plus tard créole. Ceci semble confirmer par les travaux de l’historien
Gabriel DEBIEN qui nous montre comment le créole a été imposé aux nouveaux
esclaves africains au point que certains ont eu du mal à l’apprendre (G. Debien les
esclaves XVII ème
XVIII ème siècle).
J’ajoute que nous sommes, encore aujourd’hui, toujours des apprenants : les auteurs de créolité (à propos de ce mot, voir l'article d'Edouard Boulogne), par exemple, créent du créole en tentant de faire de la littérature en français ; on n’est pas sorti du rapport d’aliénation entre blancs dominants et nègres dominés, dont la pauvreté des langues créoles en est le symbole quotidien. Nous sommes loin de la dé-créolisation annoncée…. mais bien dans la stagnation heureuse.
En sortant de ce livre, je me suis souvenu d’une idée de CESAIRE selon laquelle il faudrait posséder une très bonne connaissance du fonctionnement de la langue créole pour créer une vraie littérature en créole. Que faire donc de notre créole ? Je crois qu’il faut lui appliquer le programme mallarméen : refaire la langue ! Mais n’est pas MALLARME qui veut….
Au travail camarades de la créolistique !
Guillaume SURENA
Case Pilote, le 29/02/2004
* Robert
CHAUDENSON,