LA CREOLISATION  SELON

 CHAUDENSON *

           

Le livre de Robert CHAUDENSON « LA CREOLISATION : THEORIE, APPLICATIONS, IMPLICATIONS » est un de ces livres qui arrivent au bon moment pour faire le point sur un sujet important, vital pour nous Antillais, mais accaparé par une bande d’« universitaires » dont l’inconsistance éclate au grand jour  depuis le passage de l’auteur à la Martinique, en décembre 2003. Ces « universitaires » en sont arrivés à se traiter d’arrivistes, de lâches, de traites….de judas etc. Qui a parlé de « guerre civile annoncée » ? Les injures volent très bas certes, mais c’est à ce niveau que nos professeurs de créoles ont entretenu le débat depuis plus d’une vingtaine d’années. De guerre lasse, nous sommes un bon nombre à les avoir laissé faire … de toutes les façons, c’est l’Etat français qui paie !

 

            La CREOLISATION de R. CHAUDENSON n’est pas un règlement de compte avec le G.E.R.E.C.F. L’auteur arrive à parler de la question du ou des CAPES créoles par ricochet. Après tout, le CAPES est une institution française, il est normal que le Français CHAUDENSON donne son opinion au même titre que les Français du G.E.RE.C.F.

 

            L’ambition de ce livre ou de ce manuel est de faire le point sur les travaux de la créolistique sur plusieurs dizaines d’années. Il s’agit de donner une définition précise du créole qu’il distingue des « pidgins » et des français marginaux.

Le but, atteint selon moi, est de construire ou reconstruire la genèse non pas du créole, mais bien des créoles en les replaçant dans leur contexte historico-social.

 

            Une vérité première pour saisir la portée de ce livre : il n’est pas vrai que la rencontre de langues différentes entraîne un mélange et donne naissance à une nouvelle langue, comme des liquides différents dans une éprouvette.

            La deuxième vérité c’est que la créolisation, selon CHAUDENSON, n’a rien à voir avec la conception pseudo-philosophique de E. GLISSANT selon laquelle « Tout le monde  se rend compte que le monde est en train de devenir composite, c’est-à-dire créolisé …. » (sic), vision idéologique de la société des blancs créoles depuis le début de la colonisation.    Selon CHAUDENSON la créolisation « est en fait un phénomène essentiellement sociolinguistique » (page 74) et « loin d’être la règle, la créolisation apparaît donc plutôt comme l’exception (p.75) ».

            L’auteur dont les connaissances englobent l’ensemble des créoles, nous invite à distinguer ces créoles des « pidgins » et des français marginaux.

Un pidgin est un système langagier ayant un lexique limité et une syntaxe réduite, pour communiquer dans des fonctions sociales limitées ; les personnes d’origine linguistique différente continuent à parler leur langue et (ou) d’autres langues en dehors de ces dites situations. Ceci n’est pas le cas des créoles.

Ceux-ci ne sont pas non plus du français marginalisé : un Français de France écoutant du Français québécois ou acadien comprend sans grand effort ce qu’il entend, s’il entend un créole il ne le peut pas.

 

            L’auteur divise les créoles français en deux zones : la zone américano-caribéenne ou Z.A.C., et la zone de l’Océan indien ou O.I.

            Dans les créoles de la ZAC, les affirmations sur l’origine africaine de ces langues sont idéologiques. Aucun des partisans de cette origine n’est en mesure de nous dire de quelles langues il s’agit. Et pour cause, les origines officielles des esclaves sont généralement fausses ; ils sont souvent capturés à des milliers de kilomètres de l’endroit où ils sont vendus. Les négriers ont souvent falsifié les origines pour obtenir les meilleurs prix sur le marché capitaliste du bétail humain. Ils ont été longtemps en minorité par rapport aux blancs et on voit mal comment ils auraient imposé une langue à leurs maîtres. Plus encore, aucune étude de spécialistes des langues africaines ne vient confirmer un lien quelconque de ces langues avec les créoles de notre région.

            Dans les créoles de l’O.I., c’est encore plus vrai. Les idéologues de l’origine africaine ont mis en avant la langue malgache. Pour leur malheur, le malgache n’est pas une langue africaine ; c’est une langue malayo-polynésienne. La thèse du mélange des langues est infirmée par le simple fait que l’arrivée massive de Tamouls après l’abolition, n’a fait subir aucune modification significative au créole, à l’île Maurice. Ils forment 2/3 de la population.

 

            L’un des grands mérites du livre de CHAUDENSON est de donner la part belle aux thèses de ses adversaires et de les discuter. La recherche créolistique se partage en deux grands courants : les subtratistes qui font du créole une langue d’origine africaine et les superstratistes qui en font une langue néo-romane.

            Parmi le subtratistes, il n’y a pas un Guadeloupéen et pas un Martiniquais cité. Ces derniers sont des subtratistes de seconde zone. Les vrais sont essentiellement des Américains du Nord qui ont une bonne connaissance de la langue académique mais ne possèdent pas une pratique suffisante des différents niveaux du français courant. Leur thèse sur l’origine d’un substrat d’une langue africaine relexifiée en français est à l’origine de cette aberration qui s’appelle : « créole à base lexicale française » ou C.B.L.F.

 

            L’auteur donne longuement la parole à ses adversaires, ce qui donne un sentiment de longueur qui déséquilibre parfois l’économie du livre.

            CHAUDENSON que l’on a vite classé parmi les superstratistes ne nie pas l’idée d’un substrat. Pour lui, les créoles ne sont pas des langues néo-romanes,  et ajoute-il, « les créoles ne sont pas des simplifications du français » (p. 193). Il adhère totalement à la thèse du substrat. Sauf que ce dernier est la  langue française, non le français académique d’aujourd’hui, mais le français ou les français populaires des XVII ème et XVIII ème siècle. L’auteur va très loin : non seulement les créoles ont pour origine les parlers populaires du français ancien par le lexique mais aussi  et surtout par la syntaxe. Il nous invite à faire abstraction de la prononciation du français d’aujourd’hui pour retrouver celle du vieux français. Et là, si on est honnête, on est obligé de faire le lien, à l’oreille, entre la structure grammaticale du créole et celle du français parlé dans les colonies par les premiers colons. Je me flatte d’avoir eu l’intuition de ces choses depuis plus de vingt ans, à partir de mon travail sur l’apprentissage du langage avec les enfants.

            CHAUDENSON construit une genèse des créoles à partir d’un schéma théorique cohérent. Il ne cache pas ses difficultés, ses ignorances, ses impasses ; il pose les bases qui sont indispensables pour aller plus loin dans l’étude de nos créoles. Et ce n’est pas son vrai faux ami de près de 30 ans, BERNABE J., J. comme judas selon les dires de Raphaël CONFIANT, (couriel du 13 février 2004 à 9 h 54’) qui me contredira.

C’est bien ce Jean Bernabé qui disait en janvier 2002, devant un parterre de créolistes, à Sainte Lucie, « que si Robert CHAUDENSON, qui est ici, n’avait jamais existé, s’il n’avait pas été un intellectuel et un créoliste, nous n’en serions pas là où nous en sommes aujourd’hui » (Antilla n° 1077, 11 février 2004, page 26). Il est vrai que Jean « Judas » BERNABE qui n’est pas linguiste de formation mais qui possède une agrégation pour enseigner les humanités gréco-latines dans les collèges et lycées, n’est pas à une contradiction près.

 

 

            Ce livre remarquable nous montre les deux grands moments de la formation des créoles français : la période de la société d’Habitation et celle de la société de Plantation.

            Dans la première  période, les Français qui pratiquent les parlers de la France de l’Ouest, dans la leur grande majorité, se sont engagés dans un processus de koénisation du français.

 Ce français koénisé devient dès lors celui que toute la population doit acquérir, au cours d’un apprentissage non guidé. Les esclaves qui sont moins nombreux que les blancs au début de la colonisation l’apprennent vite, au point d’être capable de l’enseigner à certains blancs en train de débarquer.

            A cette époque succédera celle de la société de Plantation avec l’arrivée massive d’Africains en majorité jeunes qui seront placés en position d’apprenants par rapport à ce français koénisé des maîtres et de leurs esclaves. C’est à ce moment historique que se situerait la création de cette vraie langue, appelée plus tard créole. Ceci semble confirmer par les travaux de l’historien Gabriel DEBIEN qui nous montre comment le créole a été imposé aux nouveaux esclaves africains au point que certains ont eu  du mal à l’apprendre (G. Debien les esclaves XVII ème XVIII ème siècle).

J’ajoute que nous sommes, encore aujourd’hui, toujours des apprenants : les auteurs de créolité (à propos de ce mot, voir l'article d'Edouard Boulogne), par exemple, créent du créole en tentant de faire de la littérature en français ; on n’est pas sorti du rapport d’aliénation entre blancs dominants et nègres dominés, dont la pauvreté des langues créoles en est le symbole quotidien. Nous sommes loin de la dé-créolisation annoncée…. mais bien dans la stagnation heureuse.

           

En sortant de ce livre, je me suis souvenu d’une idée de CESAIRE selon laquelle il faudrait posséder une très bonne connaissance du fonctionnement de la langue créole pour créer une vraie littérature en créole. Que faire donc de notre créole ? Je crois qu’il faut lui appliquer le programme mallarméen : refaire la langue ! Mais n’est pas MALLARME qui veut….

   Au travail camarades de la créolistique !

Guillaume SURENA

 

Case Pilote, le 29/02/2004                    

 

* Robert CHAUDENSON, LA CREOLISATION : THEORIE, APPLICATIONS, IMPLICATIONS; Institut de la francophonie, L’harmattan, 2003.